Et maintenant ParcoursSup. En les voyant aussi angoissés, insomniaques, au bord de la crise de nerfs, on essaie de se souvenir de nos 16-20 ans. Etions-nous aussi anxieux sur notre avenir ? On parlait beaucoup du chômage, de « filières qui embauchaient » et qui ne correspondaient en rien à nos désirs, nos spécialités. Ingénieur, programmeur, matheux… Tout le monde – enfin, dans mes cercles - voulait faire sociologie, psychologie, littérature, langues, éventuellement sciences po sans bien savoir où ces matières intéressantes allaient nous mener.
De l’utilité limitée des petits boulots pour se connaître
On avait 16-17 ans, on avait fait des petits boulots : préparateur de commandes, serveur, serveuse, hôtesse au salon de l’auto, guide touristique, fonctionnaire dans une ONG… Des jobs qui nous confirmaient l’importance de choisir le bon métier, sous peine de s’ennuyer à mourir, d’avoir, oui, envie de mourir ! Ces « petits boulots » ne nous éclairaient pas du tout sur nos désirs profonds. En revanche, ils pointaient nos répulsions et mettaient nos organismes à l’épreuve de la réalité adulte : se lever (trop) tôt, aller tous les jours sur son lieu de travail, voir passer les heures lentes, infinies, rentrer enfin, fatigué, contrarié par le boss, pas plus avancé.
Une fac au petit bonheur
Finalement, après le bac, comme les inscriptions étaient ouvertes et peu embouteillées, on jouait le choix d’une fac quasiment à pile ou face. Comme je n’ai pas de passion, je ne sais pas vers quoi m’orienter. Alors une question se posait : puisque je ne sais pas ce que je veux faire, ne vaut-il pas mieux choisir un domaine que je ne connais pas ? l’économie, par exemple ? ou au contraire, pour assurer la réussite, faut-il préférer un domaine où je suis bon, les langues, les matières littéraires, la géographie… Soit tu affiches ton tempérament aventurier, soit tu joues la prudence. Mine de rien, c’est commencer à se connaître soi-même.
Ensuite, une fois en première année, les profs te prédisaient une élimination obligée : ceux qui n’avaient pas le niveau, ceux qui se sentaient largués, incapables de s’organiser, ceux qui s’étaient trompés de voie…
Débrouille-toi
Alors il fallait remettre la réflexion sur le tapis. Je fais quoi ? Les parents désorientés se voulaient rassurants mais pas très « helpful » : « Tu vas trouver, tu es intelligent (-te) » Mais l’intelligence ne suffit pas, c’est même un handicap. En bons coéquipiers, ils recherchaient des exemples de métiers qui pourraient nous plaire, une filière plus courte, plus facile… Ca ajoutait du désordre au fouillis de possibilités. Alors on se concertait entre camarades de galères. Mais voilà que l’évidence nous frappait comme une nouvelle initiation adulte : le copain, la copine dont on sent si proche n’a pas les mêmes goûts, pas les mêmes compétences, pas les mêmes envies. On se retrouve seul avec ses dilemmes. Comme le déclarait Orson Welles, « on naît seul, on vit seul, on meurt seul. » Débrouille-toi.
Prendre un coach d’introspection dès ses 15 ans !
Aujourd’hui, ParcoursSup, ses conditions, ses recruteurs, ses lettres de motivation et ses algorithmes. Une forêt vierge paniquante. L’affolement est contagieux, parents, enfants, frères et sœurs, oncles, tantes… ParcoursSup devient un job à plein temps pour les uns, un stress à plein temps pour les autres. Question cruciale : est-ce que ParcoursSup vous aide à trouver votre destin professionnel ? Est-ce que ParcoursSup va vous aider à aller plus vite que la musique ? A anticiper les « vœux » d’un inscrit immature ? « Il faut prendre un coach, insiste Nathalie Lagane, une conseillère en orientation. Ca vous coûtera moins cher qu’une année de formation perdue à 6000 ou 20'000 euros. » Vu sous cet angle…
Vanessa Bérangère, ancienne prof devenue coach… | … pilote une ado, accompagnée de sa mère, dans ses choix. |
La connaissance de soi, c’est la mission d’une vie. Une évolution permanente. Avec l’adolescent pubère, le coach va démarrer le travail. En général, il se démultiplie entre un psychologue spécialiste de la confiance en soi, et un expert en ressources humaines c’est-à-dire en embauches bien ciblées. Les tarifs ? entre 80 et 120 euros de l’heure. C’est un peu le prix d’une psychanalyse. Il y a des forfaits (questionnaires, entretiens, synthèse avec les parents) : entre 250 et 800 euros. Un budget quand même.
La charge mentale de l’aspirant ParcoursSup
A cause de – ou grâce à – ParcoursSup, l’enfant (dès ses 14 ans !) entre de plein pied dans une introspection décisive : « De mes entretiens dépendra mon avenir, la fierté de mes parents (qui paient), ma réussite dans la vie, ou mes fiascos. » C’est une lourde charge pour un ado, un post-ado. Le choix d’une vie professionnelle devient un défi dramatique où le chœur familial a l’oeil rivé sur le « soliste-guerrier ». Il va se battre, il va s’inscrire, il va gagner. Il va se trouver !
On s’étonne après de voir les trentenaires installés dans leur métier exiger de leur employeur un job à 70 ou 80 %, « pour avoir un peu de temps pour moi ». J’ai bossé, j’ai passé, les examens, j’ai montré mes compétences, maintenant j’ai besoin de trouver mon tempo. Me connecter à mes désirs. Tout seul. Et peut-être changer de vie.
Ce genre de besoin libérateur, on l’a vécu plus tard, à 40, 50 ou 60 ans. La maturité est-elle plus précoce aujourd’hui ? Ou est-ce, à 30 ans déjà, la fatigue des injonctions ? Prise de conscience, rébellion, il y a de l’espoir.
Catherine Schwaab