“Les Collectionnistes”, l’amour de l’art, ça n’a pas de prix !
Dans « Les Collectionnistes », au Théâtre du Petit Montparnasse, on re-découvre le quotidien d’un marchand d’art dans les années 1860-1900, Paul Durand-Ruel, le premier promoteur des impressionnistes...
Sur la seule foi de ses coups de cœur, ce commerçant de matériel pour peintres qui n’était ni critique d’art, ni galeriste (il avait fait Saint-Cyr !), s’est mis à acheter des œuvres de ses clients. Il devient leur ami, puis leur galeriste. Il commence par vendre Corot, puis ses confrères de l’Ecole de Barbizon. Il les achète, il ne les prend pas en dépôt comme les galeristes d’aujourd’hui - mis à part des exceptions comme Alain Margaron, rue du Perche à Paris.
Sans Durand-Ruel, les Degas, Renoir, Sisley, Claude Monet, Camille Pissarro… sont des crève-la-faim. Leur marchand exige d’eux l’exclusivité - interdits de vendre ailleurs - en échange d’un salaire, d’expositions, et de la gestion des questions pratiques.
Paul Durand-Ruel… | … peint par Renoir avec tendresse |
C’est ce personnage grandiose et généreux que raconte la pièce « Les collectionnistes », signée François Barluet et mise en scène par Christophe Lidon. Une véritable « œuvre impressionniste », avec gammes de couleurs dans les costumes, et nuances lumineuses, variations de tableaux impressionnistes, le tout dans un décor unique, le chic salon des Durand-Ruel. Car s’il y a Paul, incarné par l’excellent, passionné Christophe de Mareuil, il y a aussi l’épouse, son indéfectible soutien, incarnée avec une drôlerie irrésistible par Christelle Reboul. Elle est la passerelle entre le goût de son mari et ceux qui ne comprennent rien à ces nus féminins, « amas de chairs en décomposition avec des taches violacées comme un cadavre en putréfaction ». Voilà ce qu’écrivent les journaux.
Christophe de Mareuil(Durand-Ruel) et Frédéric Imberty en critique partagé entre son amour des nus et son aversion pour cet “impressionnisme” | Christelle Reboul, la femme du marchand, très bonne vendeuse, avec le jeune Renoir, Victor Bourigault. Belles couleurs fauves. |
En une heure et demie, on comprend tout du contexte, et de la « folie » esthétique de ce galeriste légendaire. Il était le contraire des spéculateurs d’aujourd’hui qui embauchent des « limiers » de tendances pour flairer les nouveaux talents, qui calculent leur plus-value sur investissement en oubliant le nom du peintre, qui refusent d’acheter des artistes français car « pas assez chers par rapport au marché américain »… Durand-Ruel était certes un homme d’affaires mais il suivait ses attirances, à contre-courant des tendances. Il s’endettait sur ses propres biens pour acheter, frôlant la faillite à plusieurs reprises.
Cette flamboyance est magnifiquement rendue dans cette pièce qui l’observe par le petit bout de la lorgnette, mais avec une palette d’acteurs, de couleurs artistiques qui résument tout. La fin rappelle que ces nus et ces paysages vendus 200-300 francs hier s’adjugent aujourd’hui 10, 20, 30, 40 millions chez Sotheby’s. La salle est emballée.
Aux saluts. De g. à dr. Frédéric Imberty joue un journaliste, Christelle Reboul (Madame Durand-Ruel), Christophe de Mareuil (Paul Durand-Ruel), Victor Bourigault (Auguste Renoir)
« Du charbon dans les veines » : chaud au coeur
Ce « charbon » nous emmène au cœur de notre histoire aussi, à la fin des années cinquante, chez les mineurs du Nord de la France. On a oublié que ces ouvriers travaillaient à en mourir. Avant 50 ans le plus souvent, de la silicose, ces poussières de charbon qui encrassaient les poumons jusqu’à provoquer l’étouffement. Rien de morbide pourtant dans ce texte bouleversant, magnifiquement mis en scène par l’auteur, Jean-Philippe Daguerre. On plonge dans le quotidien d’un groupe de mineurs, aussi joyeux, sensibles et romantiques que simples, rustiques et alcooliques. Un tableau d’une justesse « journalistique » puisque l’auteur s’est fondé sur des interviews assidues, entre autres celle, très détaillée, de Raphaëlle Cambray, une fille du Nord, qui interprète ici l’épouse d’un vieux mineur et patronne de bistrot. Un sacré tempérament.
De g. à dr. assis : Juliette Béhar, Raphaëlle Cambray, Jean-Jacques Vanier, Aladin Reibel, Debout : Jean-Philippe Daguerre, Julien Ratel, Théo Dusoulier, | Aladin Reibel et Jean-Jacques Vanier |
Un texte impeccable, une résonnance actuelle, des acteurs si justes !
La scène se partage entre deux décors, le café où l’on boit sec et se confie, et l’extérieur, la mine, les champs où volent les colombes, où se retrouvent les amoureux. D’emblée, on y croit, on est dans cette « famille » recomposée faite de Français natifs de Noeux-les-Mines et d’émigrés polonais. Les joies sont spontanées : le plaisir d’être ensemble, vivants, de trinquer, de regarder la coupe du monde de foot, de jouer de l’accordéon, de fraterniser, d’aimer… Dans les dialogues comiques et légers, il y a toute la chaleur des « gens du Nord », leur sincérité, leur générosité sobre. Mais aussi les problématiques d’aujourd’hui : le racisme anti-polonais, l’impérialisme froid des patrons, les jalousies, la femme réduite aux tâches ménagères mais qui dit la vérité, qui engueule, raisonne… Certains moments sont une leçon de vie. C’est profond. Mais tout est fluide, subtil, jamais pesant. Aucune longueur, aucune parole moralisatrice, tout est implicite, c’est la grande intelligence de ce texte très émouvant. On rit souvent car les répliques, les acteurs sont impayables, tellement justes et rodés. A la fin, la salle – des vieux et des jeunes – vote quatre rappels. Nous aussi !
Aux saluts, devant une salle émue, de g. à dr. Julien Ratel, Aladin Reibel, Juliette Béhar, Théo Dusoulier, Jean-Philippe Daguerre (également auteur et metteur en scène), Raphaëlle Cambray, Jean-Jacques Vanier.
Catherine Schwaab
“Les Collectionnistes” jusqu’au 30 mars 2025 au Théâtre Montparnasse, Paris
“Du charbon dans les veines” jusqu’au 26 avril 2025 au Théâtre Saint-Georges Paris.