Deux spectacles à ne pas rater !

Allez au théâtre, les productions actuelles, si vivantes, donnent à réfléchir, à rire, à pleurer, à en ressortir plus riche et plus conscients du monde.

Comme critique de théâtre, il faut parfois dépasser ses préventions : aller voir une création qu’on pense ne pas aimer, et espérer une bonne surprise. Ou pas, et repartir déçu, énervé. Dans ce cas, il faut écarter cette soirée ratée et passer à autre chose. Ne pas passer ses nerfs sur un papier incendiaire. Comprenez-moi : je n’éprouve aucune délectation à « descendre » un spectacle. Occuper des pages à démolir une production me semble vain. Un spectacle raté ou déplaisant ou mal dirigé, mal écrit, ou simplement mal ressenti, eh bien je n’en parle pas. J’aime aimer. Et il y a tant d’autres productions qui méritent un (bon) papier. Les attachés de presse ont un rôle important et délicat : à eux de vous connaître et de vous « vendre » ce qui pourra, devrait, vous plaire. Ils savent le manque de place dans les journaux : une page c’est 3-4 spectacles, pas plus. Et encore, votre critique est coupée et devient une sorte de résumé télégraphique d’une pensée sensible.

« Zourou » captivant

Xavier Lemaître, le père, poignant, et Morgan Lhostis, Lola, handicapée follement expressive

La copine, Sophie Kaufmann, avec l’orthophoniste-parfois-chanteur, Tristan Garnier, et Morgan Lhostis

Alors l’autre jour, quand Anthony, cet attaché de presse que j’estime beaucoup, me parle de « Zourou », un spectacle qui met en scène le handicap psychique, j’ai d’abord un sursaut. Non, pas le handicap, on ne va pas au théâtre pour avoir pitié, être mal à l’aise…  

J’y suis allée. Et j’ai été conquise, émue, bluffée. Cette production signée Mélodie Molinaro réunit toutes les qualités d’un petit chef d’oeuvre : un texte, un propos, une mise en scène, et surtout des comédiens éblouissants. Ils savent tout exprimer avec une telle justesse : l’intime, l’angoisse, les pudeurs, les maladresses… sans jamais « surligner ».

Tout est “vrai”

L’histoire est fondée sur une réalité : la petite sœur de Mélodie Molinaro a un trouble neuro-déficient, un trouble complexe du langage, c’est-à-dire qu’elle n’arrive pas à parler. « Je connais bien le sujet, explique à l’évidence l’auteure. La pureté des émotions, les crises, et l’obligation constante de stimuler le cerveau.  Tout dans la pièce est validé scientifiquement avec l’orthophoniste de ma sœur. » Dans « Zourou », Lola tente de s’exprimer, mais seul son père la comprend. Puis l’orthophoniste. Mais pas la copine du père. Ni le public. Mais on « saisit » tout. Ce qui donne un cocktail d’émotions puissantes et troublantes magnifiquement scénographiées, chorégraphiées, chantées. Morgan L’hostis (Lola) est danseuse, elle réussit, avec son langage corporel et ses enchaînements dansés sur un espace restreint, à traduire toute la frustration, la rage, le chagrin bruts. Mais aussi l’humour, la légèreté, l’enfance. En 1 heure et quart, on a tout compris du quotidien désespérant et drôlatique d’une adolescente handicapée mentale. Et de son entourage. Collé au fauteuil par le suspens, on découvre, charmé, capté et effrayé à la fois. C’est un spectacle aussi bouleversant qu’instructif. Mais surtout une création artistique totale. A la fin, la salle applaudit debout.

Mélodie Molinaro confie d’ailleurs que depuis le film d’Artus « Un petit truc en plus », et depuis les Jeux Para-olympiques, en province comme à Paris, sa pièce trouve plus facilement des théâtres. « Mais la première année, on s’est battus pour s’imposer, même au festival d’Avignon ». Ils ont quand même « fait » Avignon, et semé une sorte de stupéfaction subjuguée. Allez’y !  Impossible d’être déçu.

Mélodie Molinaro joue et chante aussi dans “Les Coquettes”, et signe le texte et la mise en scène de “Zourou” qui est également retranscrit en langues de signes par Joël Chalude pendant tout le spectacle.

« Made in France » : féroce

Paul-Eloi Forget à g. et Samuel Valensi, auteurs, acteurs, metteurs en scène : le tandem qui tue

Dans un genre opposé, cette nouvelle création du tandem Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget explose d’originalité, d’énergie, d’humour et de cynisme brûlant. Leur compagnie théâtrale “La Poursuite du Bleu” est clairement engagée dans nos enjeux économiques et sociaux : environnement (leur précédente pièce géniale « Coupures »), corruption, cupidité, égoïsmes politiques, trahisons. Mais contrairement à une association militante, eux nous font hurler de rire (et de rires rageurs) avec leurs talents protéiformes. Tellement brillants, ces deux-là s’attaquent maintenant à la désindustrialisation, à la fermeture d’entreprises qui marchent pourtant très bien.

Emile (Paul Eloi Forget irrésistible), un prisonnier en fin de peine, travaille à sa ré-insertion en se faisant embaucher dans une usine comme « homme de ménage ». Et de fait, sur un malentendu, il va se retrouver à devoir « faire le ménage » dans une usine en grève. Avec le fonds de pension en embuscade, le patron (Dominique Zahl, belle autorité) se retrouve pris en tenaille entre une syndicaliste aussi féroce que compromise (l’énergique Valérie Moinet), le repreneur (Valensi, glaçant), et la très veule Ministre de l’Economie  (Moinet) avec son bras droit (charismatique June Assal). Les 6 acteurs sont formidables, chacun dans la peau de deux (voire trois) personnages qu’il endossent à une vitesse étourdissante.

Les saluts de g. à dr.: la batteuse Melanie Centenero, les auteurs Paul-Eloi Forget, Samuel Valensi, June Assal, Bertrand Saunier, …

…. et Valérie Moinet.

La vitesse, c’est la grande qualité de cette compagnie : le tempo, la synchronisation horlogère des ripostes, des situations, des gags. L’histoire et le réquisitoire sont fondés sur des lectures, des observations, des interviews au cœur du vrai « milieu ». Le tout mené tambour battant avec un abattage de folie. Il faut s’accrocher pour suivre, mais on suit très bien, la pièce est bien construite, avec, en ingénieux dispositif scénique, une batterie et sa batteuse qui, entre tambours, cymbales et silences, rythme les « couleurs » psychologiques. On a à peine le temps d’éclater de rire qu’on passe à un retournement qui nous laisse bouche bée.

C’est vif, intelligent, créatif, engagé, sans complaisance, ni pesanteur. Mais impitoyable. Une pièce à ne rater sous aucun prétexte, surtout si vous voulez prendre le pouvoir !   

Catherine Schwaab

“Made in France” au théâtre Belleville à Paris jusqu’au 29 avril 2025

puis en tournée et au Festival d’Avignon du 5 au 26 juillet; puis en novembre 2025 à Paris, Théâtre Concorde

“Zourou” au Théâtre de l’Oeuvre jusqu’au 25 mais 2025 puis en tournée

DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB

DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB

Par Catherine Schwaab

JOURNALISTE MULTI CARTE Paris Match

Fashion Mode d’emploi (Flammarion)

Sciences Po - HEI Genève

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