DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB

Sorties parisiennes, bons plans parisiens et autres, chroniques et réflexions sur la vie, la mort, les djeuns et la coiffure !

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Par Catherine Schwaab
18 sept. · 2 mn à lire
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Il est comment, Clovis Cornillac, en Monet ?

Il est impeccable, et il n’est pas le seul. « Dans les yeux de Monet » au théâtre de la Madeleine à Paris est une mise en scène chatoyante très réussie. Côté femmes, « Sarah Bernhardt » aussi : énergique et moderne avec plus de 30 personnages !

Les saluts le soir de la première avec Clovis Cornillac dans le rôle du peintre Claude Monet, entre Eric Prat et Maud Baeker

 

 L’acteur Clovis Cornillac qui vient de triompher au cinéma dans « Un petit truc en plus » (12 millions d’entrées !)  incarne sur scène un peintre historique, et il est totalement convaincant. Dans le rôle de l’artiste en mal d’inspiration, ronchon et colérique, Cornillac fait merveille. Ni trop énervé, ni trop artiste torturé, il est parfaitement crédible sous sa barbe épaisse, habillant son gros ventre (artificiel !) d’un camaieux savamment négligé de beige, camel, ocre et bronze, belle harmonie. C’est la moindre des choses pour ce maître de l’impressionnisme. Dans sa chambre-atelier sous les combles, Monet se bat avec cette cathédrale dont il veut restituer « la sensation sous la lumière qui change ». Son marchand Durand Ruel s’est endetté jusqu’au cou pour ses artistes (Eric Prat, excellent); le peintre est dérangé par une jeune vendeuse insolente et curieuse (Emma Baecker, formidable) qui va se révéler plus… intéressante.

Tristan Petitgirard, metteur en scène de “Dans les yeux de Monet” écrit par Cyril Gély

Le texte, signé Cyril Gély, est fin, limpide, réaliste et aussi instructif. La pièce monte en puissance, dramatiquement et visuellement. Bravo au metteur en scène Tristan Petit-Girard qui nous emporte dans l’époque, dans le paysage intérieur de l’artiste, et, par un jeu de projections vidéo, dans l’éblouissement des toiles de Monet. Petit-Girard et Gély avaient déjà collaboré dans « Signé Dumas », ils ont ensemble retrouvé l’harmonie, entre la justesse des dialogues, et la transposition dans ce décor unique où tout évolue. Les ambiances changent, c’est très habile, et en même temps, on est capté comme dans un cocon.

Allez’y, ça vaut largement le prix du billet dans ce chic théâtre de la Madeleine.

Sarah Bernhardt mouille la chemise pour nous toutes !

Dans un autre théâtre encore plus rococo, le Palais Royal, vous allez vous emballer pour cette «Extraordinaire destinée de Sarah Bernhardt », furieusement actuelle. Elle était une femme pas très jolie, une actrice pas spécialement douée, mais dotée d’une voix magnifique et d’un tempérament, d’une intelligence hors du commun qui ont fait sa gloire. Mal aimée par sa mère qui dressait ses filles à devenir cocottes, comme elle, Sarah a explosé tous les carcans de la bienséance et des conventions féminines de l’époque, le 19ème. Cette créature a eu des audaces impensables, à commencer par claquer la porte de la Comédie Française, et réclamer son dû ! Elle a traversé deux guerres, transformé alors un théâtre en hôpital, s’est engagée pour Dreyfus tout en subissant de plein fouet l’anti-sémitisme, elle a joué en Amérique, et surtout : elle a aimé quantité d’hommes, et adoré la scène plus que son fils, « accidentel ».

 

Une scène de “Sarah Bernhard” et ses acteurs formidables…

…et la très douée Estelle Meyer dans le rôle titre.

Il fallait un sacré cerveau pour ramasser cette vie de folies, 1844-1923, Géraldine Martineau l’a fait, et c’est elle qui met en scène son propre texte, brillant, riche, drôle, instructif, jamais maniéré, une réussite absolue. C’est foisonnant, mais ça va vite, et jamais elle ne nous perd en route. La pièce dure pourtant 1 heure 50.  

Géraldine Martineau la très discrète metteur en scène de “L’extraordinaire destinée de Sarah Bernhardt” au Palais Royal

Dans un décor minimal, il y a là une dizaine d’acteurs en superbes costumes d’époque (Cindy Lombardi)… et 35 personnages ! Mais comment font ces actrices et acteurs pour se métamorphoser avec une telle vitesse, une telle virtuosité ? A la sortie, quand on les retrouve autour d’un verre, on n’arrive à peine à les reconnaître ! Marie-Christine Letort, Blanche Leleu, Isabelle Gardien, Priscilla Bescond, Adrien Melin, Sylvain Dieuaide, Antoine Cholet… ils apportent un fourmillement, une profusion, renforcés par des séquences chorégraphiées (par Caroline Marcadé)

Une troupe de 9 acteurs qui incarnent 35 personnages ! Plus, au centre en blanc, “Sarah”-Estelle Meyer

Ils sont géniaux mais tout repose sur les épaules de l’actrice principale, Estelle Meyer qui incarne Sarah Bernhardt. Elle sait tout jouer, chanter, hurler et ordonner ! Une sacrée personnalité qui s’impose sans surligner. Elle est aussi grande et forte que Géraldine Martineau (la metteur en scène) est fluette et douce. Une surdouée, Géraldine, également actrice à la Comédie Française. Pour écrire sa pièce, elle s’est fondée sur les mémoires de Sarah Bernhardt : « Femme forte, ambitieuse, libre et jusqu’au-boutiste, elle ne s’est pas construite grâce aux hommes, ni dans l’ombre d’un homme » observe-t-elle. Voilà son moteur : dans le milieu du théâtre en 2024, les mâles dominent encore largement les productions. Cette pièce nous donne la niaque, et force l’admiration. On en ressort conquis et galvanisé.  

Catherine Schwaab

« Dans les yeux de Monet » au Théâtre de La Madeleine à Paris jusqu’au 24 novembre 2024

« L’extraordinaire destinée de Sarah Bernhardt » au théâtre du Palais Royal à Paris jusqu’au 22 décembre 2024