En Corée, le chien-chouchou... bientôt insupportable ?

Solitude ? Plus d’enfants ? Les Sud-Coréens semblent de plus en plus préférer les chiens aux humains. Dans cet amour immense, et dans un pays farouchement hygiéniste, un gros marché se profile : les services et restos pour chiens et les recettes exprès pour eux. Gare aux complexes canins de mégalomanie.  

N’importe quel ex- ou actuel propriétaire de chien vous le confirme : un chien c’est de l’amour inconditionnel. C’est de la spontanéité affective, de l’intuition empathique, de la dévotion instinctive. « Plus je connais les hommes plus j’aime les chiens » ; ils l’ont tous dit, de Lamartine à Blaise Pascal, Mark Twain, Frederick le Grand, Bismarck, sans oublier Alain Delon et Pierre Desproges.

En Corée du Sud, le pays de la K-pop, de la propreté, de la cosmétique obsessionnelle, eh bien, ils sont comme nous. Leur chien est même devenu un membre de la famille; ce sont les reporters Loïc Pialat et Yann Rousseau qui le disent sur France Info. Un gentil membre qu’on emmène au spa ou chez son psy, si-si ! On en n’est pas encore à les accueillir à table ou à les habiller pour un mariage comme aux USA ; mais on s’efforce de les associer à nos vies, comme une grand-mère, comme un enfant. Après tout, ce sont des êtres vivants, dotés d’émotions, des cerveaux en ordre de marche qui enregistrent tous les moments de nos existences sans jamais nous critiquer.

Un “Puppuccino” pour Médor

Okay, ils n’ont pas les mêmes désirs que nous, par exemple, ils ne sont pas tenaillés par une envie d’apéro, de pâtisserie, de shopping. Mais ils sont à côté de nous quand on en profite. Alors les Coréens se mettent à leur place : Médor ne doit pas se sentir négligé et basculer dans la frustration. Ainsi par exemple, quand on est installé chez Starbuck pour un capuccino, eh bien Médor a droit à un « Puppucino » ! C’est une révolution au pays de l’hygiène. Jusqu’à présent, dans les restaurants et les cafés, les animaux de compagnie étaient interdits de consommation. Les pauvres attendaient langue pendante, attachés dehors ou à vos pieds. Aujourd’hui, la législation les fait entrer en salle, et devenir clients. Le « Puppuccino » n’est pas un expresso pour chien, c’est un bol de crème Chantilly sucrée que vous seriez tenté de lui piquer. « Puppuccino », notez le marketing du produit :  Puppy en anglais signifie « chiot » ou plutôt ici « petit chien-chien-à-son-papa » qui fait tout comme son maître chéri.

Boulette et brownies, poulet frit, soupe de canard

On vient de franchir un cap dans l’exploration du marché : puisque ces amis à quatre pattes apprécient nos attentions bienveillantes chez Starbuck, pourquoi pas les cajoler avec des petits plats gastronomiques à la maison ? Des goûts subtils, bien sourcés, ni industriels, ni standardisés, mais artisanaux, joliment élaborés avec la main du maître, des mets exprès pour eux, agréables à leur œil et qui les emplira de reconnaissance. Aussitôt évoqué, aussitôt commercialisé : maintenant, pour environ 200 euros, à Séoul, entre un bubble-tea et une démonstration de « layering » - sérum vitalité, crème de jour, bb-cream, fond de teint, finishing touch…-, vous pouvez prendre des cours de cuisine pour chiens (ou chats) ; en 8 ou 10 séminaires de deux heures, vous êtes assurés de faire la (re-)conquête de leurs papilles, goût salé, goût sucré. J’anticipe déjà son regard réjoui, sa queue frétillante une fois léchée-nettoyée son écuelle en porcelaine.

Notre insatiable besoin d’affection gratuite

Il n’y a que lui pour te comprendre. Et te supporter.

La tendance va se renforcer en France, c’est certain : entre 2022 et 2025, le nombre de chiens a augmenté de 2,4 millions (+2,7 millions de chats, mais un chat exige moins d’attention. Encore que… pas tous). C’est énorme. Et ça en dit long sur notre insatiable besoin d’affection gratuite. Dans ce domaine, Asiatique ou Occidental, on est tous rangés à la même enseigne, les Asiatiques un peu plus réalistes-pragmatiques, ils assument. Nous, quand on lui achète une gamelle connectée (pour calculer les calories) couplée à un tracker d’activité physique (pour sa ligne), voire un tapis rafraîchissant high tech ou une séance d’ostéopathie dans un hôtel de luxe, on cache une certaine gêne… Les Coréens, non. Activités d’éveil, de socialisation, de motricité… sont entrés dans le quotidien des bouts d’chous. Je rappelle qu’à deux pas, en Corée du Nord, le mijoté de chien est toujours servi dans les restaurants. Parce que c’est bon, protéiné et pas cher. Barbares…   

Enfants-rois et chiens-tyrans ?

A Londres, au bar Smith and Whistle, il a son petit cocktail (sans alcool)

N'empêche… Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, je crains qu’à l’image des enfants, ces puppies-gâtés-qui-ne-connaîtront-plus-la-frustration en demandent toujours plus, avec leur regard implorant auquel on ne sait pas résister. Ils ne vous feront pas une crise de nerfs en se roulant parterre dans La Grande Epicerie. Ils vous auront par le cœur. A la place des enfants-tyrans, on va se retrouver avec des chiens-dictateurs, boudeurs et capricieux. Et dans notre infinie bonté, on ne va pas les fouetter ni les endormir… quelle horreur. Les cours de pédagogie-ré-éducation-canine-à-l’obéissance seront le nouvel eldorado. Hélas pas possible avec les enfants-rois…  

Catherine Schwaab

DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB

DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB

Par Catherine Schwaab

JOURNALISTE MULTI CARTE Paris Match

Fashion Mode d’emploi (Flammarion)

Sciences Po - HEI Genève

Théâtre. Expos. Sorties. Restos. Toutes les tendances.

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