Quand une belle femme te balance « Tu veux ma viande ? »
Il y a cette chanson cavalière de Margaux Heller, « Tu veux ma viande ? », et il y a toutes celles qui tentent de se libérer du « mâle », de son jugement, de ses offenses. Ca passe par l’humour, et aussi par une prise de conscience sur les clichés de la séduction.
Margaux Heller incarne ce qu’on appelle une fille canon. Grande, brune, des rondeurs parfaites, un beau visage et de grands yeux sombres, le regard franc, cette chanteuse-parolière-actrice a l’image d’une femme forte. Et c’est souvent son problème. « Je suis une femme qu’on n’aide pas » soupire-t-elle. Alors elle se débrouille toute seule, et tire de son statut les thèmes de ses chansons magnifiques. C’est brillant, drôle, languide, et, oui, débordant de puissance. Une femme forte. L’autre soir, au Dock B, vaste espace resto-bar-concert à Pantin près de Paris, elle électrisait la scène avec une dizaine de chansons superbes. Cette fille qui a fait Sciences Po ne possède pas seulement une plastique de rêve, elle a une voix aux mille nuances, et surtout une plume fantastiquement inspirée. Elle vous ramasse en trois formules les gros lourds et les illettrés de la drague, les fragilités des femmes fortes, les pudeurs protectrices et les affres des amours mal assorties… Elle aurait pu être chroniqueuse !
Un clip qui déchire
Notez l’expression « Tu veux ma viande », il fallait y penser. Margaux Heller a poussé le curseur à fond en tournant un clip ébouriffant où elle se fait littéralement dévorer par des convives qui tranchent dans son corps et s’empiffrent… avant de succomber ! Le film est un petit chef d’œuvre conçu par l’auteur et co-signé du talentueux réalisateur Romain Cayla (fils de Véronique Cayla, ex PDG de Arte). Au-delà de la prouesse technique que Margaux nous détaille avec précision, - et c’est passionnant -, il y a le propos : en 2024 une belle femme est encore et toujours réduite à l’état d’objet de convoitise, point.
Impressionnante, une image du clip conçu et co-réalisé par Margaux Heller, son corps dans le rôle principal !
Tandis que les féministes radicales montent aux barricades, beaucoup d’artistes comme Margaux Heller déplacent le combat sur le terrain de l’art, de l’humour et de l’ironie. De Florence Foresti à Blanche Gardin, Nora Hamzaoui, Inès Reg, Nawell Madani, Caroline Vignaux, Bérengère Krief, Swan Périssé, Thaïs, etc, mais aussi la chanteuse Adrienne Pauly (« L’amour avec un con », « j’veux un mec »…), elles préfèrent faire rire (jaune) avec certains sketches franchement impayables : les offenses, les tabous, les clichés… on en est encore là. Tant mieux pour les gags… Mais quel boulet.
L’album d’Adrienne Pauly “Et comment tu trouves que j’me trouve?!” Incorrigible insécurité féminine…
Pour combattre le sexisme : la riposte musclée, ou l’humour
Ce qui change, en revanche, ce sont les stéréotypes dans la tête des femmes. En gros, on est en train de substituer la solidarité à la rivalité. De se délivrer (de la conquête) du mâle. Face à la légendaire complicité masculine, il semble qu’aujourd’hui, un front commun féminin se fasse jour. Depuis quelques années déjà, on notait que de plus en plus souvent, ce sont les copines qui vous disent que vous êtes « jolie », « rajeunie », « resplendissante »… Peut-être juste pour vous faire plaisir, que vous vous sentiez bien… Mais c’est un fait, il y a de l’unité dans l’air.
Dans les domaines les plus machos comme le cinéma ou le théâtre, se créent des collectifs féminins de productrices et de femmes metteurs en scène. Peut-être cela manque-t-il dans la chanson ?
Dr Sarfati :"Moins de demande de gros seins, plus d’amour de soi”
La chirurgienne Isabelle Sarfati de l’Institut du Sein
Et quand vous interrogez cette chirurgienne, spécialisée en reconstruction mammaire et injections esthétiques, elle est catégorique : « Il y a une baisse sensible des demandes de poitrine augmentée”, explique le Dr Isabelle Sarfati de l’Institut du Sein à Paris. Le signe d’un affranchissement des clichés sexys. Néanmoins, elle observe un autre phénomène : “ 75 % des demandes d’opérations transgenres concernent des femmes désireuses de se convertir en hommes. Elles pensent qu’ainsi elles auront une meilleure vie, mieux intégrée !” Sans commentaire. “En revanche, merci Kim Kardashian qui a décomplexé des millions de filles : maintenant elles assument leurs rondeurs. S’assumer, voilà le maître-mot. »
En clair : ses patientes ne cherchent plus tant à correspondre aux standards de séduction, elles veulent être bien dans leur peau. Le Dr Isabelle Sarfati va plus loin : « Elles veulent arriver à s’aimer ». Bigre, elles arrivent de loin.
Il est plus difficile de s’aimer quand on est femme
Une photo du spectacle Les Vilaines à la Gaîté Montparnasse avec Margaux Heller (à dr.)
Margaux Heller n’a pas à surmonter ce genre d’insécurité, elle. Son corps, elle gère. A 32 ans, elle a une carrière de show girl avec le spectacle « Les Vilaines », trois chanteuses-actrices dans un numéro de cabaret fifties drôlatique (donné au théâtre de la Gaîté Montparnasse). En revanche, son image de fille décidée, dotée d’une pensée autonome et d’un esprit critique lui vaut méfiance voire défiance. Elle ne s’en cache pas. « Je me suis blindée, regrette-t-elle. Et j’ai créé mon propre label. Mais là, je cherche un tourneur ».
Pour elle, pas (trop) d’inquiétude, le succès l’attend. Car elle a tout : la voix, le talent, la beauté, le charisme, l’intelligence, la détermination… Mais combien d’autres devront jouer les filles dociles pour (espérer) réussir ?
Catherine Schwaab
Sur la scène du Dock B à Pantin, Margaux Heller.
Prochain concert de Margaux Heller : le 17 octobre 2024 à la Bellevilloise à Paris 19eme.
Les Vilaines (avec Margaux Heller) à la Gaîté Montparnasse dès le 23 octobre 2024