Les journalistes font leur théâtre, la famille aussi !

Rien de plus troublant que de se reconnaître dans un personnage, une histoire. Rien de plus jouissif que d'en rire. Deux bons sujets : les paradoxes de l'enquêteur, et les liens du sang.

C’est un métier critiqué et envié. Les journalistes ont le pouvoir d’approcher les puissants, les stars, les voyous, les misérables. Enquêteurs, ils sondent nos interrogations, nos colères et nos désespoirs. Qui se rangent par rubriques : « Monde », “document”, « fait-divers », « politique »... Parfois, à la télé, à la radio, leurs interviews agacent : pleines de partis-pris, mal préparées, irréfléchies, et avec l’obsédante recherche des polémiques et des petites phrases. Et que dire de leur égo, parfois presque aussi envahissant que ceux des politiques.

Alors, rien à dire, le personnage du journaliste est indémodable, et c’est un bon client pour construire une histoire ancrée dans notre société.  Ce qui n’empêche pas, comme journaliste, de se méfier : quand je vois une pièce – ou un film – qui se déroule dans le milieu de la presse, j’y vais à reculons. Personnages stéréotypés, situations surlignées, les gestes, les attitudes, les dialogues… bref, le scénariste a beau s’être informé, ça sonne souvent faux.

Eh bien, ces temps-ci à Paris, deux pièces sur le métier réussissent à nous emporter dans leurs intrigues tellement bien ficelées. Et surtout bien jouées.

« Le Journal » : bravo aux acteurs ! Des « tempéraments » !

 « Le Journal » se joue au Théâtre de Paris, non loin de la Place Clichy, où la brasserie Wepler accueille souvent les interviews. Allez’y, vous allez adorer. Le texte est signé d’un… avocat, Antoine Beauquier. Un poids lourd du barreau qui conseille les grands groupes, droit des affaires, pénal, bancaire, mais aussi communication de crise. C’est dire qu’il a souvent face à lui des journalistes du genre investigateurs têtus, limite vautours. Là, il dessine une intrigue bien tordue où un rédacteur en chef puriste et radical se retrouve contrarié dans sa vie professionnelle par une affaire personnelle : sa fille est enlevée en Indonésie, juste avant publication d’une enquête mettant en cause un ministre, le même qui peut l’aider à la faire libérer. Dilemme… Entrent en scène la politique, le fric, la corruption et le cynisme. Féroce.

De g. à dr. : le journaliste Bruno Putzulu, le politique Olivier Claverie, le milliardaire Bernard Malaka

Vif et truculent débat entre le réd chef (Putzulu à dr) et son reporter vieux renard Bruno Debrandt

On se sent dans un thriller

C’est vif, juste, condensé, intelligent, ironique, et brillamment mis en scène par une virtuose, Anne Bouvier. Elle dirige des Ferrari :  Bruno Putzulu, réd chef écartelé mais lucide sur le métier, Olivier Claverie, Ministre matois et cynique, Bruno Debrandt, journaliste veule et sans illusions, Bernard Malaka parfait milliardaire sans scrupules. Ces trois-là apportent leur épaisseur, leur « bouteille », leur « tempérament », et c’est un élément important de la réussite. Ils sont 100% crédibles. La jeune fille, Caroline Jurczak, énervée et hargneuse contre son père, est un contrepoint qui fournit un salutaire contraste. Les séquences sont impeccables, le tempo intense et rapide, on se sent dans un thriller avec des êtres de chair et d’esprit. En une heure et demie, on saisit aussi le péril économique qui guette la presse, les perversités de la politique et l’omnipotence du fric. Les interprètes sont ovationnés, à juste titre.

De g. à dr. Olivier Claverie, Caroline Jurczak, Bruno Debrandt, Bernard Malaka, Bruno Putzulu

Au Théâtre de Paris jusqu’au 30 avril 2025

« Big Mother » déborde d’adrénaline

6 acteurs formidables qui se démultiplient en 18 !

Salué, récompensé. Dès la reprise, le public afflue

L’autre pièce sur les journalistes se situe à New York, avec de sacrés relents actuels. « Big Mother » a été créé en 2023 par la désormais célèbre Mélody Mourey, décroché nombre de distinctions, et se retrouve ici télescopé par la réalité : une rédaction aux prises avec un scandale d’Etat, les deepfakes, la manipulation de nos données personnelles pour influencer un vote (cf. Cambridge Analytica, Brexit…), la corruption au plus haut niveau, les rivalités journalistiques… C’est plus théâtralisé que « Le journal », avec de la musique à fond, des cris, des coups de tonnerre extravagants et de très bons acteurs qui jouent plusieurs rôles. C’est rock n’roll mais réaliste et plein d’adrénaline ! Si on veut en avoir plein les yeux et les oreilles.

Au Théâtre des Béliers parisiens jusqu’au 30 avril 2025

“Fête des mères”, famille je vous « haime »

Un texte d’Adèle Royné - qui joue dans la pièce - et Vincent Gardet

Beuverie et vérités crues… Rien à voir avec le côté nunuche de la fête des mères !

Au Théâtre Lepic, je ne suis jamais déçue. Niché au sommet de la Butte Montmartre, cet écrin années 1930 programme des créations qui font mouche à tous les coups. La patronne Salomé Lelouch et son bras droit l’actrice Jessica Berthe-Godart s’engagent, co-produisent, et décrochent des Molières. Un flair incroyable.

Ici, avec cette « Fête des mères » grinçante, déconneuse et incorrecte, elles remplissent à ras bord leur salle de 150 places. D’ailleurs certains spectateurs m’ont confié venir pour la deuxième fois ! Ils se reconnaissent dans cette fratrie déjantée en conflit avec une mère qui n’apparaît jamais malgré sa « fête ». Entre la sœur et les deux frères, - plus leurs pièces rapportées, fiancé (e) et autres -, c’est l’amour vache. Liens du sang et jalousies, frustrations, traumas… Le tout déballé sur un ton désinvolte, humoristique, fêtard et aviné, ou pincé et blessé. En 1 h et quart, on survole les mésaventures de la vie à 30 ans : couper le cordon ? couper les ponts ? renouer ? S’imposer contre ? S’affirmer avec ?  Visiblement, le propos touche une corde sensible dans la salle. Et avec des acteurs à forte personnalité (explosive et hilarante Florence Janas en créature dévergondée, sans filtre, et qui balance !), on se glisse sans difficulté dans ce huis-clos à peine caricaturé, émouvant et très drôle.

Catherine Schwaab

A dr., Adèle Royné, et l’impayable Florence Janas en robe orange.

Au Théâtre Lepic jusqu’au 27 avril 2025   

DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB

DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB

Par Catherine Schwaab

JOURNALISTE MULTI CARTE Paris Match

Fashion Mode d’emploi (Flammarion)

Sciences Po - HEI Genève

Théâtre. Expos. Sorties. Restos. Toutes les tendances.

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