Caroline Loeb, chanteuse-actrice-réalisatrice sillonne l'Amérique avec son magnifique, émouvant spectacle "Françoise par Sagan", joué en français et en anglais. Une bouffée d'intelligence au pays de Trump...
Dites « Caroline Loeb », vous pensez tout de suite, « C’est la ouate » (1986). Elle n’était personne, elle est devenue d’un coup l’incarnation d’un conte de fées du show biz. Un triomphe. La chanson a fait quasiment le tour du monde : n°1 en Italie, n°3 en Espagne, n°10 en Allemagne et n°30 en Autriche, quatre versions reprises aux Etats-Unis, une dizaine en Amérique Latine…. A l’époque, Caroline Loeb avait la trentaine, un physique qu’on trouvait « bizarre » mais des fossettes, une façon de se marrer qui forçait la sympathie. Cette chanson, quand on y pense, c’est toute une époque : les fêtes, le Palace, la mode, les « jeunes créateurs » les top models, la culture gay, la rue Sainte-Anne à Paris et le 7 (la boîte de nuit), la coke… Mais aussi les débuts du sida (1981) et son hécatombe. Loeb a d’ailleurs coutume de dire : «On ne sortait pas de la guerre. Mais on a eu notre guerre à nous avec le sida : un bon coup d'enclume sur la tête. » Bien résumé.
Caroline Loeb : curieuse, intelligente, un visage sympathique, elle n’a pas changé
Une couverture de Vogue typique années 80 avec Grace Jones entre autres.
Est-ce son inégalable sens de la dérision ? Sa créativité protéiforme ? Son ambition sans complexes ? Elle a toujours fait de bonnes rencontres, Caroline. Contrairement à nos actuelles années 2000, en ce temps-là, on se constituait son carnet d’adresses en boîte : Andy Warhol, Yves Saint-Laurent, Karl Lagerfeld, Jean-Paul Gaultier, Kenzo, Loulou de la Falaise, Paloma Picasso allaient au 7, au Palace, aux Bains Douches… On n’y signait pas des contrats mais on tissait une complicité. Sex, drug, fashion and disco… ça créait des liens indéfectibles.
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Avec un père galeriste, une mère éditrice, une enfance passée à New York, Caroline n’allait pas devenir fonctionnaire de banque. Elle a fait le cours Florent, écrit des chansons, publié des albums, travaillé comme styliste pour les pub de Mondino, et avec Jean-Paul Gaultier, mis en scène d’autres artistes, puis, amitié fidèle, joué en 2018 dans sa comédie musicale Fashion Freak Show. Une vie d’artiste avec des pics et des creux. Ces dernières années, c’est plutôt des pics. Elle créée et joue au théâtre des spectacles qui marchent : « Françoise par Sagan » seule en scène, « Les Caroline » avec la cantatrice lyrique Caroline Montier qu’elle a aussi récemment mis en scène dans un merveilleux récital “Barbara” au théâtre Essaion à Paris.
« Sagan », mis en scène par Alex Lutz, a été nommé aux Molière, à juste titre, c’est une transposition bluffante de l’écrivain, où Loeb incarne « l’esprit » Sagan avec une finesse qui va au-delà de la ressemblance.
Jamais en retard d’une audace, c’est ce show qui vient de traverser l’Atlantique. Oui, tout le mois de mars, Caroline Loeb a sillonné les Etats-Unis. Mieux qu’ Isabelle Huppert, Caroline Vigneau, Anne Roumanoff ou Gad Elmaleh : car outre New York, elle a « fait » Boston, Washington, Portland (hier 22 mars), Seattle (ce soir, 23 mars), Sunnyvale (demain 24 mars) et San Francisco (après-demain 25 mars). Mais en plus, elle joue Sagan en anglais ! « Vu mes années d’enfance à New York, je suis totalement bilingue ». Elle part à la conquête de toutes ces villes, tantôt en anglais, tantôt en français ! Chapeau !
Caroline Loeb en Sagan sur scène in the USA
En plein régime macho-trumpiste, avec son héroïne farouchement libre et libertine, brillante, intello et raffinée, Loeb fait figure de valeur-refuge pour pas mal d’Américains désespérés, tétanisés. L’artiste ne se risque pas trop à critiquer ouvertement le nouveau président américain, mais ses textes - repris d’une compilation d’entretiens de Sagan « Je ne renie rien » - sont une condamnation sans appel de la médiocrité trumpiste. « Si Françoise Sagan était parmi nous aujourd’hui, elle serait horrifiée par les réseaux sociaux et la vulgarité ambiante", estime Loeb sobrement.
Au moment où nous finissons ce papier, on apprend la mort de son frère Martin Loeb, artiste, acteur, galeriste, à 66 ans. But… the show must go on. Sur scène, sa soeur ne laissera rien paraître.
Catherine Schwaab
Si vous ne voyez pas le show : Loeb lit Sagan en double CD