DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB

Sorties parisiennes, bons plans parisiens et autres, chroniques et réflexions sur la vie, la mort, les djeuns et la coiffure !

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Par Catherine Schwaab
14 sept. · 2 mn à lire
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« Toubib », un film sur l’art d’être médecin, et sur la vie.

Ne ratez pas ce film  d’Antoine Page, où l’on suit son frère étudiant en médecine jusqu’à ses internats puis ses premiers pas de généraliste. Tout est vrai ; mais c’est si palpitant qu’on dirait un film de fiction.

C’est un film qui se regarde comme un suspens. Comme une fresque. Un parcours aussi combattant que… romantique : Angel Page, cheveux hirsutes, semble à peine sorti de l’enfance quand son grand frère Antoine, 13 ans de plus, lui propose de le suivre, caméra à l’épaule, du début à la fin de ses études de médecine. Angel dit oui. Au fil de ces 12 ans de tournage, il est bluffant de naturel. Et plutôt brillant. 

On le suit partout :  mémorisations infernales, examens, fatigue, interrogations, stages, apprentissages hospitaliers, ratages, un an d’Erasmus (à Sofia, Bulgarie), internats, pause, maturité, vocation… Au début du tournage, Angel a 18 ans, et le réalisateur, 26. Quand tout se termine, ils sont devenus l’un et l’autre des adultes. C’est aussi cette éclosion que l’on observe. 

 

Un film pareil doit être auto-financé, forcément

On a beaucoup écrit sur les études de médecine, beaucoup critiqué l’ambiance impitoyable entre élèves, le stress, l’épuisement, l’état de l’hôpital… Là, on découvre les choses au jour le jour, avec « l’acteur » et le « metteur en scène » mais où rien n’est interprété, ni scénarisé. C’est toute la force de ce documentaire. Et toute sa difficulté pour trouver des financements. « Impossible pour une chaîne de télé de s’engager sur un tel sujet », confirme Antoine Page. Sans parler des intrusions dans le film qu’il aurait eu à surmonter. « Les chefs d’unité dans les chaînes croient tout savoir de « leurs » télespectateurs. En fait ils les méprisent. » Il n’est pas le premier cinéaste, journaliste à me dire cela. 

Excellent cinéaste, très érudit en musique comme en cinéphilie, créatif dans son montage (250 heures de rush !), Antoine Page a sa propre boite de production « La maison du Directeur », à Besançon. Farouchement indépendant, il a pris l’habitude de fonctionner à l’économie. Merci la région Bourgogne Franche-Comté !  Merci le système français des subventions artistiques. Ca n’est qu’à la fin des 12 ans qu’il a trouvé des co-producteurs, « Faites un vœu » et « Seppia »

Pas question de lui demander un « draft » comme on dit. Par définition, ce genre de démarche avance avec la (vraie) vie. « Si Angel avait arrêté ses études de médecine, j’aurais continué à le filmer car c’est le passage de l’enfance à l’âge adulte qui m’intéressait. »  Avouons que pour le spectateur, on est content qu’il soit resté dans son domaine. Pénétrer aussi profondément dans le milieu médical est une découverte fabuleuse. On en avait eu une idée avec les films de Thomas Lilti, médecin-cinéaste qui réalise des fictions. Mais là, c‘est beaucoup plus intime, plus réel, le spectateur est immédiatement impliqué. On a tous une expérience médicale, alors on se projette ; ensuite la complicité entre les deux frères nous rapproche du héros, le jeune médecin. C’est à la fois dramatique et dé-dramatisé car s’il n’apparaît jamais, le metteur en scène ne s’efface pas. On sent qu’il questionne, commente et interpelle parfois son frère toubib. Un petit frère super-intelligent. Qui s’interroge sur le mode d’enseignement de la médecine, sur l’éthique, sur le destin… Sur leur père médecin-généraliste lui aussi, décédé quand Angel avait 8 ans. On imagine l’émotion de la mère quand elle a vu le film en projection. Son fils devenait  presque le portrait de son mari. 

 

La vie d’un jeune médecin, c’est universel.

L’Ordre des médecins- traditionnellement très conservateur - a aussi vu le film et a beaucoup aimé, estimant qu’il restitue le métier avec justesse. Bon, les membres de « L’Ordre » ne vont sans doute pas exercer au Château en Santé à Marseille, un lieu social qui s’efforce de soigner autant qu’aider à vivre des populations défavorisées. C’est là qu’Angel a trouvé sa voie et s’épanouit. 

Au fil de ses coupes de cheveux et de barbe, on l’a vu grandir, prendre de l’assurance avec les patients, décider. Aujourd’hui, « Toubib » est un objet unique qui nous en dit autant sur l’art de devenir adulte que sur le monde des médecins et des infirmières. Mais au-delà, « Toubib » est une déclaration d’amour entre deux frères. Une démonstration de confiance inouïe.  

Quant à Antoine Angel, il va décliner ce film d’1 heure 53 en deux épisodes de 52 minutes pour la télévision qui soudain s’y intéresse. Les risques financiers ont été pris, les difficultés surmontées, la responsabilité du diffuseur sera de le programmer à une heure de grande écoute. Film ou production télé, ce documentaire est promis à une carrière internationale. 

Catherine Schwaab