"Big Bang Circus", big angoisse
Est-ce ainsi que les hommes vivront ?
C’est une petite création sans publicité, sans tapage mais qui fait réfléchir longtemps après la sortie. Big Bang Circus préfigure un terrible monde de demain. On en sort décoiffés, nourris, un peu moins naïfs.
La Manufacture des Abbesses est un joli théâtre bien situé, dans la discrète rue Véron, à Montmartre. On s’étonne de voir si peu de monde pour assister à ce qui semble un condensé habile des angoisses actuelles. Puces insérées partout dans le corps humain, rapports de forces impitoyables, invasion de drones dans la vie ordinaire, capitalisme sans foi ni loi, mort programmée… Tout ce qui alimente les conversations dans les dîners. Et dans les campus. Entre deux blagues de c… d’accord. Mais l’angoisse est bien présente.
Non, Big Bang Circus n’est pas un vaudeville, ni une pièce rigolote, ni un suspens… Encore que… Au fil des six séquences courtes et percutantes qui durent au total 1 heure et quart, on se demande bien comment tout ça va se terminer.
La fin d’une certaine humanité sensible
L'actrice Clara Pirali et Jean-Marie Russo qui est aussi l'auteur du texte et le metteur en scène
La fin du monde ? La fin d’UN monde. La déshumanisation, la dématérialisation, la technologie toute-puissante, la fin de l’empathie. Non, ça n’est pas gai ; ça n’est pas le but. Les deux acteurs sont habillés en blanc, comme pour annoncer la dépersonnalisation de l’être. Ils évoluent parmi des cubes qu’ils déplacent au fil de chaque saynète. C’est très ingénieux. Ce décor minimal joue avec les lumières de différentes couleurs. Chaque 12-13 minutes, on change d’ambiance, de thème.
Dans cette sobriété, il fallait un texte de première force et des interprètes exceptionnels. C’est le cas.
Un dialogue puissant, des acteurs excellents, polyvalents
L’auteur, acteur et metteur en scène Jean-Marie Russo réussit à illustrer avec le seul talent du dialogue, du geste - presque chorégraphique parfois - et de la musique des préoccupations réelles. C’est vif, rapide, moderne, parfois drôle, en montagnes russes, et c’est méchamment inquiétant.
Face à Russo, imposant, juste, charismatique dans le personnage d’un financier, d’un surveillant technologique, d’une cellule artificielle…, Clara Pirali, nerveuse, mobile, voix puissante, incarne tantôt une PDGère glaciale, tantôt une vieille Alzheimer « réparée » par une puce cérébrale, tantôt une lanceuse d’alerte à la colère froide. Ils jouent brillamment, sans en rajouter, sans déraper, impeccables dans le tempo, les enchaînements et les ripostes. L’un et l’autre sont de grands acteurs avec une solide expérience. D’ailleurs ils enseignent l’art dramatique et sont multicartes, cinéma, théâtre, télé.
Un spectacle sérieux-cynique qui aide à réfléchir
Non, ça n'est pas du vaudeville en costumes
Si vous voulez rire et vous amuser, ce Big Bang n’est pas pour vous ; mais si vous êtes de ceux qui cherchent un show qui pousse à la réflexion, de ceux qui s’inquiètent de notre fulgurante évolution auto-destructrice, alors il faut absolument aller voir et écouter ce « cirque » effrayant.
Enfin, effrayant, mais aussi vertigineux dans son utopie car on ne peut s’empêcher de rêver par exemple à cette puce qui soignerait Alzheimer, Alleluia ! Ou, pour les angoissés de l’insécurité, l’idée d’une société quadrillée de drones pourrait-elle éventuellement séduire. De quoi débattre un bon moment après les applaudissements. Heureusement, dans le quartier, il y a assez de bars pour se poser et discuter. Trinquer à nos oppressions.
Catherine Schwaab
Big Bang Circus
de et par Jean-Marie Russo avec Clara Pirali.
A la Manufacture des Abbesses,
7 rue Véron, métro Abbesses, Blanche, Pigalle
jusqu’au 16 mars 2024
Catherine Schwaab
Paris Match - Sciences Po - IFM - Personnalités, mode, tendances et découvertes
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