Ca y est, les coupes sombres ont commencé dans la Culture. 100 millions de moins par exemple en région Pays de Loire. Les politiques ne réalisent-ils pas que c’est notre image attirante française que l’on déchire ?
L’autre soir, en sortant du Théâtre Lepic à Montmartre, j’observais le plaisir briller dans les yeux d’un public jeune, de 13 ans à 30 ans, ravis de s’être identifiés aux acteurs de « La Fête des mères » ou de « Quand j’étais Blanche ». Pareil en sortant des « Punk( e )s » , explosives à La Scala. De « 12 hommes en colère » à Hébertot. Et dans plein d’autres théâtres qui s’efforcent de vendre un quota de places pas trop cher, 15, 20 euros. Pour certains spectateurs, un show peut être une révélation, une illumination !
2 spectacles du théâtre Lepic à Montmartre où Salomé Lelouch avec Jessica Berthe-Godart, coproduisent, investissent et malgré la petite jauge de 150 personnes, pratiquent des prix “jeunes”
Eh bien, certains gouvernants s’en foutent. Fin 2024, Christelle Morançais annonçait tranquillement 100 millions de moins alloués à la culture pour sa région Pays de Loire. La Présidente a décidé que « d’ici 2028 », certaines dépenses seront superflues : culture, sport, tissu associatif, santé (le planning familial par exemple), insertion… Aujourd’hui, c’est en route.
Je précise que le gouvernement Barnier avait demandé 40 millions d’économie aux régions, ce qui est déjà énorme. Pourquoi Morançais fait du zèle ? Parce qu’elle veut à elle toute seule désendetter la France ? Parce que, radicale à courte vue, elle n’a rien compris au fonctionnement d’une nation civilisée. Qu’elle le veuille ou non, son pays, la France, tire sa gloire (son tourisme, ses exportations luxe) de sa culture (opéra, théâtre, littérature, histoire, musiques, peintures, arts plastiques…) de ses traditions (la mode, le design, la danse…), de son art de vivre (des bistrots à la gastronomie, de la porcelaine à la verrerie…), de la beauté de ses monuments (de Notre Dame de Paris aux cathédrales de Strasbourg, Chartres, Rouen, de Versailles aux châteaux de la Loire, justement…) La France, c’est Molière et « Emily in Paris ». En termes « Morançais », ces spécificités rapportent de l’argent et de l’image ; en bonne diplômée d’Ecole de Commerce, elle devrait en prendre conscience.
Mais plus encore : une population cultivée, connaissant son patrimoine, habituée dès l’enfance aux expositions et aux spectacles vivants, (musées, théâtre, concerts, cirque…), est beaucoup plus « vendeuse » qu’un peuple à moitié analphabète dont la seule gloire se résume à des palaces, des autoroutes et des shopping malls géants.
Avec son mari - agent immobilier comme elle -, Christelle Morançais a deux garçons de 16 et 18 ans. S’est-elle demandée si un éveil sensible, artistique, esthétique les aiderait à s’épanouir ? Oui, manifestement, elle s’est posé cette question puisque sur son site, on lit encore ce qu’elle écrivait il y a 4 ans :
« La culture, le sport et la solidarité sont essentiels à nos vies. Nous soutenons nos artistes, sportifs, libraires, réalisateurs, … et nos 700 000 bénévoles qui font vivre et rayonner nos territoires.
Nous avons été aux côtés de nos festivals, nos clubs et nos associations dès le début de la crise. Et nous nous battrons pour les aider à se relever ! » Fièrement, elle énumère :
« +30% de hausse historique du budget culture, sport, vie associative ; 350 festivals et manifestations sportives soutenues, plus de 3 millions d’euros pour lutter contre la grande précarité et 112% d’aides pour sauvegarder notre patrimoine. Nous offrons un accès à la culture partout et pour tous »
Fini tout ça. Morançais a-t-elle jamais cru à ses belles promesses ? A-t-elle des convictions, franchement ? Ou s’est-elle positionnée sur ce secteur par clientélisme ? Ne mesure-t-elle pas, cette baroudeuse du terrain si « près de mes administrés », combien l’éducation peut aider à vivre, apaiser les tensions, enrichir l’esprit, ouvrir les ambitions ? En deux mots : sait-elle, cette investisseuse immobilière, combien l’investissement culturel peut rapporter à un pays comme la France ? Souvenons-nous des effets catastrophiques d’autres coupes sombres - sarkoziennes, celles-ci - dans les quartiers, les cités où les jeunes sombrent dans un ennui destructeur…
Je rencontre, j’interviewe presque chaque jour des producteurs de spectacles, des auteurs, des acteurs qui se retrouvent brutalement suspendus dans le vide faute de visibilité économique. Non qu’ils soient entièrement subventionnés, loin de là. Ils engagent tous l’argent de leurs succès passés pour monter les succès futurs, pour répéter, présenter, faire tourner une pièce, un spectacle, un festival.
Francis Lombrail, patron du théâtre Hébertot à Paris depuis 20 ans ne s’est jamais payé comme directeur mais comme simple acteur jouant dans les pièces qu’il finance, heureux quand il arrive à l’équilibre. Il n‘est pas le seul, et de loin.
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A la Scala Paris, métro Strasbourg St Denis, ils sont trois, Frédéric et Mélanie Biessy avec le producteur Sylvain Derouault à faire tourner la machine à plein, 7 jours sur 7 de midi (le restaurant sert à déjeuner) à minuit. « Nous répétons nos productions dans de petites structures régionales. Si elles ferment, où irons-nous ? » interroge Sylvain Derouault qui produit les « Punk(e) s », un succès. « Et comment allons-nous rentabiliser nos spectacles en tournée si les petits théâtres de province doivent fermer faute de moyens ? »
Pour Christelle Morançais, pour le gouvernement, pour Rachida Dati, pour Emmanuel Macron (marié à une prof de littérature et de théâtre, je rappelle), la culture, tout à coup, ça doit rapporter gros, et tout de suite, comme une pizzeria. Et les artistes, c’est bien connu, tous une bande de flemmards subventionnés. Alors que partout, sauf dans le public, les aides économiques sont des compléments qui n’atteignent même pas 40 %. Le reste, c’est les producteurs, le théâtre qui vont le chercher avec les dents. Et savez-vous combien gagne par soir un très bon acteur au Théâtre de Paris (450 places) par exemple ? 125 euros bruts par soir, c’est-à-dire à peine 100 nets. Pour 5 cachets par semaine. Juste pour info, les cachets (théâtre, télé, ciné) ont été divisés par 2 depuis les années 2000. Pas ceux des “grands noms” qui cannibalisent les budgets et en plus, prennent un pourcentage sur les recettes.
Au théâtre Saint-Georges à Paris, pas de stars dans cette formidable pièce, juste 7 bons acteurs, dont Raphaelle Cambray (centre). Des “enfants gâtés” qui qui se font 100 euros nets par soir. Un smic.
Et a-t-elle réfléchi, Madame Morançais, combien un spectacle donné en région fait vivre de petits commerces ? des artisans (pour les décors) aux restaurants et aux hôtels ? Sans parler de l’effet attractif, l’image « active » qu’offre une zone culturelle.
Morançais préfère-t-elle assécher la culture pour montrer qu’elle peut être ministre des économies ? Elle vient d’être bombardée vice-Présidente du parti Horizon par Edouard Philippe. Moi qui croyais ce Havrais, ancien premier Ministre, attaché à « une certaine idée de la France », c’est-à-dire : érudite, cultivée, inventive, originale, je suis abasourdie : imagine-t-il cette ambitieuse « cost-killer » capable d’incarner ses grandes idées ? Ou Morançais était-elle la seule à lui dire oui ?
Dans le milieu ultra-financiarisé dont elle se revendique, son personnage à la Elon Musk est applaudi ; un comportement primaire qui rappelle celui d’un promoteur immobilier devenu président. Comme les Américains, nous allons bientôt le payer cher.
Catherine Schwaab
Ne ratez pas sur Radio RCJ ce mercredi 19 février à 23 h et sur Youtube l’entretien édifiant dans “LES RENCONTRES DE CATHERINE SCHWAAB” avec Francis Lombrail (Hébertot), Sylvain Derouault (La Scala Paris) et Jessica Berthe-Godart (Théâtre Lepic)
https://radiorcj.info/emissions/rencontres-avec-catherine-schwaab/