Une drôle de tendance se profile depuis une petite année : le goût des « Super-fake » c‘est à dire le snobisme d’afficher une belle copie de produit griffé.
Autrefois, pour rien au monde on n’aurait avoué porter un faux sac Yves Saint Laurent, un faux Gucci, Prada ou Vuitton. On ne se risquait pas jusqu’au faux Chanel, Hermès ou Dior, les marques les plus hors de prix car, avec nos moyens limités, on n’aurait pas été crédible. Aujourd’hui, arborer un « fake » devient du dernier branché. C’est presque une posture politique devant le coût stratosphérique des sacs de luxe. Quand on est riche, arborer -et déclarer - son faux sac Hermès en soirée, c’est s’inscrire contre la désinvolture des riches. Ces « dupes » aussi parfaits que ceux de l’Avenue Montaigne à Paris signent une protestation : ras le bol d’être pris pour des gogos. Et tant pis si ta voisine de business-class a le même.
Un vrai Kelly de Hermès, vendu 21000 euros sur SacLab. Cher mais au moins on n’attend pas.
Un exemple : un vrai sac Hermès, ce sont des heures, des mois d’attente et d’infinis rites de passage. On sait qu’un « Birkin » ou un « Kelly » se paient entre 6000 et 30'000 euros voire 200'000 pour un croco. C’est un investissement patrimonial, la maison te le fait comprendre en créant la rareté. Et l’attente. Pour ménager les susceptibilités, on ne parle plus de « liste d’attente » mais de « liste de souhaits » : il faut être agréé par la marque ; en clair, avoir démontré votre fidélité. Les élues peuvent légitimement afficher leur fierté. Du coup, l’achat est un tel investissement qu’elles préfèrent le protéger des risques. Alors va pour un super-fake quasi-indétectable, elles le revendiquent : « Le vrai est au coffre ». Comme un collectionneur de Picasso.
Il n’y a pas que pour Hermès que les clientes adoptent cette paradoxale – et illégale – économie. Quand vous découvrez le monde des super-copies, il y a de quoi abolir toutes vos préventions. Allez à Shenzhen ou à Guanzhou. La contrefaçon a toujours été une industrie frénétique, mais là, il s’agit de contrefaçon de luxe, pièces impeccables, dust-bag, boîte en carton et certificat d’authenticité ! Certains fournisseurs s’approvisionnent parfois carrément à la même source que les maisons ! Dans de rutilants shopping malls, on en vient à sélectionner le client. Presque comme chez Hermès ! Je m’explique : quand il voit que vous ne vous extasiez pas sur son assortiment de beaux sacs en cuir à 50 ou 150 euros, le vendeur vous emmène dans l’arrière-boutique, ou à l’étage. Et là, c’est le grand jeu. Les pièces coûtent le double ou le triple, voire 900 euros, mais elles sont irréprochables, les professionnels eux-mêmes en restent baba.
Un shopping mall à Guanzhou : du moyen de gamme et, plus discret, du haut de gamme
Le phénomène touche les marques les plus en vue. Chanel, Yves Saint Laurent, Dior, Prada, Gucci, Céline, Fendi, Bottega Veneta, Coach, Goyard… et les inévitables Hermès. Sur Instagram, TikTok, les influençeuses parlent de « superfake » ou de « rep » pour « replica ». Et de vous déballer leur achat avec des cris d’extase, « My God ! », elle oublie qu’elle risque 300'000 euros d’amende et trois ans de prison.
Et vous, incrédule, d’examiner les coutures à la loupe, renifler le cuir, peser la pièce, observer sa tenue, ses boucles et ses logos d’acier si difficiles à contrefaire… Rien à dire, le truc est bluffant de… luxe.
Alors comment résister ? Vaste question. Pourquoi je craque ? La fierté d’arborer une griffe chère ? La fierté d’arborer une griffe chère payée trois francs six sous ? La fierté d’échapper aux prix du luxe si fous qu’ils en deviennent scandaleux voire insultants ? Ou juste le frisson de frauder ?
Pour la génération Z (qui ne respecte plus rien, c’est bien connu), le luxe n’est plus sacré, et l’amour des marques est volatile, sans oublier le goût pour la frime et la fraude. Frauder pour frimer, c’est pas pécher. Pour les plus vieux, afficher le dernier Goyard, YSL ou Céline montre qu’on reste dans le coup. Mais de là à claquer une fortune pour un vrai… Même si j’ai les moyens, la décence me l’interdit. Un sou c’est un sou.
Voilà, à quoi sont arrivées les grandes maisons de luxe qui ont doublé leurs prix (déjà très élevés) en quatre ans, depuis la fin du covid. Cette surenchère à court terme pour augmenter le chiffre d’affaires les a desservi
De vrais Chanel… dont les prix ont doublé en 4 ans.
Etonnez-vous ensuite de constater la fameuse « Luxury fatigue », une lassitude, même chez plus plus fortunés. A trop tirer sur la corde sans réfléchir à la psychologie de leur clientèle, les griffes de luxe se sont comportées comme de vulgaires vendeurs de bazar.
Catherine Schwaab