DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB

Sorties parisiennes, bons plans parisiens et autres, chroniques et réflexions sur la vie, la mort, les djeuns et la coiffure !

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Par Catherine Schwaab
24 août · 2 mn à lire
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Alain Delon  Star sans partage

Je l’ai « pratiqué » pendant plus de dix ans pour Paris Match. Alain Delon avait déjà franchi les 70 ans mais, en couverture, quelle que soit son « actu », il continuait de nous assurer d’excellentes ventes. Son charisme fonctionnait partout, au resto, dans la rue, dans les soirées… et sur papier glacé. 

 Une interview pour Paris Match à Douchy, début des années 2000

En interview, « Alain » était bon client. Il a un avis sur tout, et il ne mâche pas ses mots. Il s’exprimait aussi volontiers sur lui-même, sa solitude, sa nostalgie, surtout. Il en souffrait. Il regrettait les grands cinéastes qui l’avaient fait. Visconti, Melville, René Clément, Allégret, Verneuil… ces hommes érudits lui ont appris le métier, le jeu dramatique sobre, la culture, la vie. Sortes de pères de remplacement, ils ont façonné sa maturité, puis sa gloire. Même si, comme il le martelait, « ce sont les femmes qui m’ont tout appris ».  Pourquoi elles ? « Parce que c’est dans leurs yeux que je lisais ma valeur, mes qualités. »  Voilà son socle. Avec Alain, les femmes sont les admiratrices, les hommes sont les mentors. Ses fils ? Des gêneurs. 

 De Anouchka Delon à Mireille Darc, Romy Schneider, Nathalie… quelques femmes de sa vie

Cet homme intelligent mais sans diplômes (un CAP de charcutier) s’est-il jamais interrogé sur son pire rôle, son rôle de père ? 

 

Un roi inquiet 

A Pari Match, il racontait son mal-être….

… sa nostalgie des valeurs d’autrefois

 

Je l’ai vu si souvent manifester sa préférence pour sa fille chérie.  Conditionner la petite à marcher dans ses traces alors qu’à l’époque elle n’avait même pas envie d’être actrice. Il n’a jamais modéré ses ambitions ni son autorité. A ses côtés, il fallait suivre. Ou se faire pulvériser. Comme un roi inquiet qui asservit sa cour pour ne pas risquer le putsch. Ses fils étaient encore ados quand il lisait déjà en eux un rival potentiel. Il a eu beau les élever à la dure, exigences, cris, engueulades, violences, rarement un compliment … il ne les a pas empêchés de virer voyous. Se rebeller pour exister face au géant fascinant, écrabouilleur. 

 

Ses fils, ses rivaux

Avec sa dernière épouse hollandaise Rosalie van Bremen, Alain-Fabien et Anouchka, fin des années 90

On comprend qu’en Alain-Fabien, 29 ans, Anthony, 59 ans, reconnaisse ses jeunes années. Lui était enfant unique. « Anouchka est la princesse, Alain-Fabien n’a rien. » résumait-il récemment, évoquant au passage la nomination de sa demi-sœur directrice adjointe d’une des sociétés Delon en Suisse, et les dispositions successorales qui octroient 50 % de la fortune d’Alain Delon à sa fille et 50 % à partager entre les deux fils. Alain aurait pourtant pu rattraper financièrement ce qu’il ne leur a pas donné affectivement. Chimère ! ça n’arrive jamais.

Delon voyait pourtant qu’il était leur dieu, ça sautait aux yeux. Avec le petit Alain-Fabien, c’était tellement manifeste. Et touchant. « Je vais faire comme papa », répétait-il à 9 ans sur le tournage du « Lion » de Kessel en Afrique du Sud où Anouchka, 13 ans, tenait son premier rôle face à son père, en 2003. Fallait-il manquer de confiance en soi pour empêcher ses fils de prendre leur envol et leur répondre systématiquement par la froideur et l’oppression. 

 

Pour sa fille, un amour dévorant

 

Ca n’est pas qu’il ne connaissait que ce registre, lui, le fils embarrassant que sa mère avait préféré voir partir à la Légion étrangère pour pouvoir vivre son nouvel amour en paix. Alain savait montrer son amour, sa passion pour sa fille, lui répéter des « je t’aime », des « tu es la plus belle, la plus forte, la meilleure »… A elle, il savait prodiguer sa tendresse et son admiration. Passion aveugle. Dévorante. S’il l’avait mieux regardée, il lui aurait laissé choisir la carrière dont elle rêvait. Peut-être loin des plateaux de tournage. 

Et s’il avait su mettre de côté son égotisme angoissé, il aurait adoré ses deux garçons qui l’idolâtraient. Il les aurait encouragés à s’épanouir, devenir ses dignes descendants tout en développant leur personnalité. 

 

Acteur de sa vie

Paradoxe : il rêvait d’une « dynastie de cinéma » comme à Hollywood. Les enfants ne lui auraient pas fait d’ombre, quelle idée. Est-ce que Claude Brasseur a fait de l’ombre à Pierre ? Les fils Sardou à Michel ? Vincent Cassel à Jean-Pierre ? Et les Garrel, de Maurice à Louis en passant par Philippe… 

A Paris Match, lors des rares photos que nous réussissions à lui arracher avec un de ses fils, le résultat était toujours stimulant pour les deux parties : le charisme de l’un rejaillissait sur la fraîcheur de l’autre, la ressemblance du fils exaltait la beauté du père… C’était patent. Alain en convenait, okay, mais il aurait quand même préféré être « seul en couv’ ». Refrain connu. Jamais sûrs de leur séduction, les acteurs-stars, les actrices aussi, ne sont pas partageurs. 

C’est cette générosité qui a manqué au père Delon. 

S’il fut un piètre père, il a été un grand acteur de sa vie, des plateaux, de la scène. Septuagénaire, il avait encore et toujours un besoin viscéral de nos applaudissements, de notre regard subjugué. L’aimer, le rassurer, c’était notre rôle à nous, son public.

Catherine Schwaab