Il est comment, le « Golem » d’Amos GitaÏ » ? Un choc.

C’est son spectacle le plus puissant. Avec sa collaboratrice de longue date l’écrivain Marie-Jo Sanselme, Amos Gitai réussit là une symphonie éblouissante.

Amos Gitaï et sa collaboratrice Marie-José Sanselme à l’époque de son dernier film sur Itzhak Rabbin

Sur la vaste scène du théâtre de la Colline, Amos Gitaï a réuni 7 acteurs qui parlent huit langues, le yiddish, le ladino (le judéo-espagnol), l’hébreu, l’arabe, le russe, l’espagnol, et le français grâce à la fidèle et brillante Irène Jacob et à l’excellent Misha Lescot. Les trois musiciens jouent sur scène, au piano, violon, santour, synthé ; et les 5 chanteuses aussi, dont une joueuse de harpe, Marie Picaut. Il y a là toutes les origines, toutes sortes de vies « rock and roll » dont certains, certaines ont subi le racisme. On va le découvrir à la fin, par de chaleureux solos où chaque acteur, actrice, révèle un passé personnel, sa difficulté, son bonheur d’être au monde.

Deux moments de la pièce, le feu…

… la cendre

Mais entretemps, accrochez-vous, on est à la fois au Moyen-Age, à l’Opéra  et au ballet contemporain ; dans les pogroms d’Europe de l’Est et au tribunal ; à la synagogue et à Auschwitz… Les époques se court-circuitent, les persécutions aussi. Par un jeu de décors mutants qui descendent des cintres, avec des éclairages d’orfèvre (Jean Kalman, un virtuose), avec des vidéos, des extraits de films, et surtout des musiques ensorcelantes, de Monteverdi à Chostakovitch et aux folklores yiddish ou ladino, on assiste à une symphonie à la fois terrible et chatoyante. Le spectacle dure 1 h 45 mais on ne voit pas le temps passer. Il y a des lenteurs voulues, et des accélérations surprenantes. Les personnages s’imposent avec une force extraordinaire : leur corps, leur voix, leur gestuelle. Certains propos sont sur-titrés français-anglais, on sent une production qui va faire le tour du monde, et c’est tant mieux.

Irène Jacob, fine et pure

Irène Jacob, le medium de ce “Golem”

Car ça n’est pas seulement du « Golem » dont parlent Amos Gitai et Marie-Jo Sanselme. Cette figure protectrice des juifs est maintenant destinée à protéger toutes les victimes de la haine dans le monde. A nous protéger nous-mêmes de la lâcheté et du repli sur soi. Ce thème irrigue la pièce, et se confirme à la fin. Mais comme souvent, Amos refuse d’expliciter. Marie-Jo Sanselme : « Il laisse le public interpréter. Son œuvre naît autant de sa connaissance, de sa pensée profonde que de son intuition. Ensuite, il fusionne les formes artistiques ». C’est un bon résumé, sachant que Marie-Jo, mine d’érudition, a proposé des textes, aidé à ordonner. D’ailleurs, on saisit tout, on n’est jamais largué. Fine et pure, Irène Jacob est notre « fil rouge » qui, de sa voix douce, ne nous lâche pas. Elle est pour Gitaï et depuis des années, une partenaire sur laquelle il échafaude.  

Sous ses aspects chaotiques, fractionnés, le spectacle est très construit. Avec une tension constante. On est tétanisé par la beauté effrayante des images : des arbres dorés, des panneaux qui prennent feu devant les corps des comédiens qui dansent, parlent, chantent ou se dépouillent. « Chacun d’eux a été sollicité, rappelle Marie-Jo. Dans un souci d’apporter une perception intime. »

« L’espoir, c’est un projet d’avenir » Amos Gitaï

Amos Gitaï, le 7 octobre l’a rendu physiquement malade.

Le cinéaste et metteur en scène va sur ses 74 ans. Avec cette production majeure, il touche au sommet de son art : architecte de formation, il réussit un « monument » mais chargé de toutes les douleurs récentes qu’il a traversées : le 7 octobre 2023 lui a valu un méchant ulcère, il en parlait il y a un an : « Je n’ai jamais vécu un environnement aussi toxique. J’ai dû somatiser. » Aucun doute. Il a enduré dans sa chair « la bestialité du Hamas qui s’est attaquée à des kibboutz humanistes, pacifistes de gauche, qui aidaient les Gazaouis, les Palestiniens… » Ce rock qu’était Amos, on l’a vu alors hypersensible et près des larmes. Lucide mais pas battu. « Ce massacre a aussi eu pour conséquence que de moins en moins d’Israéliens, y compris de gauche, croient en la perspective d’une réconciliation. Moi, je ne perds pas espoir, parce que l’espoir est un projet d’avenir. Quelle est l’alternative à l’espoir, même si le présent est sombre, si le populisme et l’extrême droite montent partout, pas seulement en Israël-Palestine. »

A la fin de « Golem », une phrase est lâchée : « L’art est une résistance ». Amos Gitaï n’est guère apprécié par le gouvernement de son pays. Il le leur rend bien. Je cite une interview donnée à Serge Kaganski du magazine Transfuge : « Regardons les choses en face : Netanyahou est allié à une bande de fascistes fous furieux (...) Lui-même est un manipulateur archi-cynique, hélas cultivé et sophistiqué ce qui le rend encore plus dangereux. Je n’oublie pas qu’il a émergé dans la suite de l’assassinat d’Yitzak Rabin, assassinat qu’il a lui-même incité. Rabin est le seul leader politique israélien, gauche et droite incluses, qui a compris qu’esquiver la question palestinienne et faire comme si les Palestiniens n’existaient pas était le plus grand danger pour Israël. » Rappelons que le cinéaste a réalisé quatre films et documentaires édifiants sur Itzhak Rabbin assassiné le 4 novembre 1995.

Ce « Golem » rappelle l’Histoire et devient un combat. Ulcère ou pas, Amos Gitaï ne désarme pas.

Catherine Schwaab

Amos Gitaï parmi ses interprètes le soir de la générale

“Golem” au Théâtre de La Colline à Paris, métro Gambetta

Jusqu’au 3 avril 2025

 

DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB

DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB

Par Catherine Schwaab

JOURNALISTE MULTI CARTE Paris Match

Fashion Mode d’emploi (Flammarion)

Sciences Po - HEI Genève

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