Ce 20 mars 2024, c’est Nowrooz : le nouvel an iranien. Le début du printemps. Pas de quoi faire la fête vu la répression sanglante qui s’est abattue sur les manifestants(tes). Mais un cap a été franchi : le régime a maintenant aussi peur que les citoyens. Le début de la fin ?
On veut y croire. Même chaque jour, encore et encore, des jeunes et des moins jeunes, des femmes et des hommes, des étudiants (tes), des collégiens (iennes) sont harcelés, interpellés, brutalisés, arrêtés, violés, aspergés d’acide ou visés par un tir… Sous n’importe que prétexte : le hidjab, la tenue, la musique dans le portable, le flirt, un rire… Beaucoup sont emprisonnés, et pas que dans la prison d’Evin ; en d’autres lieux, clandestins, rustiques, sans eau potable, où tous les coups sont permis, tous les viols ; où les parents, la famille ne peuvent les retracer. Un jour, ils apprennent la mort du disparu. Et sont interdits de funérailles. L’horreur au quotidien.
Les immenses manifestations ont cessé, trop dangereux, avec des bassijis qui vous tirent dessus à balles réelles. Mais chaque jour, depuis que les filles ne mettent plus le hidjab, l’oppression continue. Et la révolution aussi.
Mollahs : hommes de foi qui se comportent en maffiosos
Depuis le meurtre de Mahsa Amini, septembre 2022, on a assisté à un basculement qualitatif ; une nouvelle génération qui n’a plus rien à perdre s’est jetée à corps perdu dans la désobéissance civile, entraînant tous les autres dans son sillage. Villes, villes moyennes et campagnes… Le régime des mollahs a vu sa population entière lui tourner le dos. Et ne parlons pas de l’islam : l’Iran est devenu le pays le moins religieux du monde. Les ayatollahs ont réussi à en dégoûter tout le monde, bravo à ces « hommes de foi, de sagesse et d’amour » qui se comportent en tueurs et en mafiosos. Ils étouffent, assassinent, piétinent les femmes, ruinent les ressources du pays par leur incurie et organisent la corruption.
Les Iraniennes dominent leur peur constamment
Il faut absolument lire « Nous n’avons pas peur », le courage de seize femmes iraniennes, publié aux éditions du Faubourg par Natalie Amiri et Düzen Tekkal. “Pas peur…” c’est une façon de parler. Impossible là-bas de ne pas vivre l’angoisse au ventre quand vous êtes à la merci de ces milices imprévisibles qui répandent la terreur. Le livre est d’abord sorti en allemand, l’éditrice Sophie Caillat l’a repris en français et organisé une grande soirée bouleversante à Paris avec les deux éditrices turco-irano-allemandes, des intellectuels français et iraniens, Golshifteh Farahani (qui était là avec ses parents et son frère venus la soutenir).
L'éditrice Sophie Caillat avec Golshifteh et les deux éditrices allemandes à sa soirée iranienne
Il FAUT lire ce livre de témoignages qui change notre vie bien tranquille.
« Nous n’arrivons plus à faire confiance à personne »
Golshifteh Farahani
Golshifteh Farahani : depuis 2023, elle s'est engagée à fond. Résultat : 330 millions de gens regardent ses posts sur Instagram "Alors qu'il n'y a que 80 millions d'habitants en Iran !"
Dans ce bouquin, et au micro, l’actrice infatigable explique qu’avec ce régime impitoyable, « nous avons la peau de plus en plus dure et ça n’est pas bien. Nous avons perdu notre part de vulnérabilité, notre capacité à avoir confiance en la vie, en l’autre, à avoir des relations un peu normales ou amoureuses. Quelque chose en nous est complètement cassé. Comme si on se tenait toujours prêt au moment où la terre va s’ouvrir et nous avaler. On est toujours dans cet état de vigilance. On ne vit pas on survit. Tout le temps. »
Dans ce recueil précieux, il y a des célébrités comme les deux prix Nobel de la paix, l’avocate de nombreux opposants Shirin Ebadi (en exil, plusieurs fois emprisonnée, persécutée, elle et sa famille, dépossédée de son cabinet) et la journaliste militante des droits humains Narges Mohammadi (plusieurs fois emprisonnée, maltraitée, malade et toujours en détention d’où elle continue de donner de la voix). Ces deux femmes ont deux enfants chacune, ceux de Nargess sont venus recevoir son prix à sa place. Ils sont très jeunes, se demandent s’ils reverront leur mère libre un jour…
L'avocate Shirin Ebadi Nobel de la Paix 2003
La journaliste Nargess Mohammadi, Nobel de la Paix 2023
Tant de souffrances… et de résistance
Contrairement aux autres « mouvements » de 2009 (l’élection truquée de Ahmadinejad), de ceux de 2017 et de 2019, ici, ces incroyables Iraniens tiennent bon et élargissent leur socle : il ne s’agit plus d’un « soulèvement », ni d’une « révolte », c’est une révolution. Chacun des seize témoignages en atteste. C’est poignant, intime, instructif et utile. Et très bien rédigé, sec, nerveux, sans chichis. Ca raconte tout de la vie là-bas et de la vie en exil. C’est peut-être le seul ouvrage qui rassemble des vies personnelles de façon aussi concise, sensible et concrète ; tant de souffrances, tant de résistance pour atteindre un objectif légitime, évident, la liberté et ses corollaires : égalité, laïcité, justice.
La passivité de l’Occident aide les mollahs, pas les Iraniens
A plusieurs reprises, on lit la rancoeur contre l’Occident. Par exemple l’actrice Nazanine Boniadi pointe : « Le chef de l’Etat Khamenei et les fonctionnaires du régime doivent être sanctionnés stratégiquement et financièrement (...) On ne doit pas accepter leurs enfants dans les universités d’élite comme Oxford ou Harvard, on doit les empêcher de vivre confortablement en Occident (…) L’Occident qui n’a fait aucun effort pour renforcer la société civile en Iran, par exemple en garantissant l’accès à Internet quand le régime le coupe. » Fière, elle insiste : « Le peuple iranien ne cherche personne pour le sauver. Il veut juste que la communauté internationale cesse de sauver le régime ». Bien dit. On peut ajouter la requête élémentaire de Ani, (37 ans, juriste), sur les pasdarans, racketteurs et auteurs de la terreur étatique : «Que le parlement européen inscrive les pasadarans sur la liste des organisations terroristes »
Si ce régime tombait…
Les premières éditrices et auteures de ce livre de 16 Iraniennes qui témoignent
Au sein de cette population très éduquée, dans les prisons et les assignations à résidence, il y a largement de quoi bâtir un solide gouvernement laïc et démocratique. Il faut juste que celui-ci s’effondre comme un fruit pourri. Et alors, je ne résiste pas à citer Natalie Amiri : « Si nous arrivions à renverser le régime ? Alors il y aurait un Iran qui serait l’allié d’Israël ; le Hezbollah et le Hamas ne seraient plus financés ; Poutine serait affaibli, il aurait perdu un puissant allié, il ne recevrait plus nos drones pour sa guerre contre l’Ukraine ; il n’y aurait pas de guerre au Yemen ; l’Irak définirait sa propre politique ; on ne craindrait plus la bombe atomique entre les mains de mollahs….Et… une femme serait présidente ! »
Ce Nowrooz aura cette année un parfum de gravité et de ferveur comme jamais auparavant. Entre le riz basmati et les brochettes, entre musique et chansons, des larmes de rage et d’espérance.
Catherine Schwaab
Dans le livre un témoignage de cette artiste dont les parents, opposants connus, ont été assassinés en 1998 dans leur maison par les services secrets du régime. P; de g. : l'opposante Nasrine Sotoudeh, détenue, embrasse son mari pendant un transfert vers une autre prison.
Nous n’avons pas peur, le courage des femmes iraniennes, par Natalie Amiri et Düzen Tekkal, éditions du Faubourg. 18 euros.
Catherine Schwaab
Paris Match - Sciences Po - IFM - Personnalités, théâtre, expos, mode, tendances
A lire aussi dans DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB