Il est le créateur du Mois Molière à Versailles qui fête ses 29 ans : des dizaines de productions théâtrales et musicales dans toute la ville et les quartiers pour un tarif moyen de 2 euros. Rencontre avec un passionné qui met l’art au-dessus de la politique.
De Versailles, on connaît le château, restauré, rutilant, formidable entreprise et prestigieuse vitrine française ; juste à côté, le Trianon Palace dont le magnifique dallage noir fut foulé par les célébrités mondiales, de Marcel Proust à la Reine Elisabeth II, en passant par Sarah Bernhardt, le Président Kennedy… On sait que Fanny Ardant est née à Versailles, comme Denis Podalydès et Agnès b. En se baladant, très vite, on respire son ambiance typique, faite de retenue et de tranquillité bourgeoises.
Mais ces temps-ci, et pendant tout le mois de juin, les Versaillais se lâchent, si l’on ose cette formule culottée ! Oui, ils sortent, ils s’emballent, ils applaudissent, multiplient les rappels, osent des « bravos ». Non, ils ne vont pas jusqu’à siffler, on n’est pas au stade. Mais leur enthousiasme se vérifie devant tous les spectacles, pièces, musique, concerts… 350 représentations classiques ou modernes. Et toujours des salles combles. La ville impériale accueille « le Mois Molière » : des productions confirmées et des créations, un avant-goût du célèbre festival d’Avignon. Il y a même des Parisiens qui se déplacent, ravis de se mêler à ce public bien élevé, attentif, reconnaissant et connaisseur. Les artistes vous le disent, les Mesguich père et fils par exemple, ils adorent venir se produire à Versailles. C’est un peu comme la Suisse, « on se sent attendus ».
François de Mazières a le cerveau, la culture, et un “body” de mannequin !
Cette fête du spectacle vivant, à la fois si préparée et si informelle, on la doit à son maire, le frémissant et très érudit François de Mazières, 65 ans, grand insomniaque devant l’Eternel. Impossible de dormir plus de 4 heures par nuit si vous voulez le suivre. Car c’est lui, l’énarque, ex-Inspecteur des Finances, qui assure la formidable programmation. Lui qui a décidé que les billets ne dépassent pas 10 euros, souvent 2 ou 3 euros, et encore plus souvent c’est gratuit. Des Ecuries de Versailles aux magnifiques scènes 19ème de la ville, en passant par les églises, cathédrale, chapelle royale, Hotel de ville, Potager du Roy, nouvel auditorium Debussy … on découvre des créations qui viendront à Paris (et Avignon), feront peut-être le tour de la France, décrocheront des Molières… . Et cela grâce au flair de ce maire décidément a-typique qui avait, le premier repéré l’auteur Alexis Michalik. Amoureux de sa ville natale, quand, à cause de la loi (idiote) sur le cumul des mandats, il a fallu choisir entre député et maire, de Mazières n’a pas hésité : « Ma passion, c’est m’occuper de Versailles »
Lui n’a pas, comme Christelle Morançais (Pays de Loire) sabré 100 millions d’euros dans le budget Culture, soit - 73 %. De Mazières est convaincu que « la culture, les spectacles apaisent, épanouissent, et rassemblent. C’est mon mantra. » Il l’a dit, répété, et écrit dans « La Culture n’est pas un luxe » parue en 1999. Ainsi, s’il ne consacre que 250'000 euros à l’achat des meilleures productions pour son Mois Molière, c’est parce qu’il sait en amont ce qui se prépare, et où sont les talents. Car Versailles accueille douze compagnies en résidence. « Ils peuvent créer leurs spectacles, et en retour, pour la ville, ils vont travailler auprès des écoles ou des quartiers. » Du coup, le prix des productions « en création » est moins cher. « On fait attention, précise cet homme qui respire la conscience professionnelle. On ne prend pas de stars. » Sauf quand Denis Podalydès ou Romane Bohringer viennent roder leurs textes bénévolement. Lui aussi est bénévole. « Mais aussi Chantal Lefèvre, à la direction des affaires culturelles, qui coordonne tout. »
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Et il y a du boulot ! Les spectacles s’enchainent tous les jours, parfois dès le matin. Moi, j’ai vu deux merveilles très différentes en une après-midi « Le chant des Lions » sur la Résistance et Joseph Kessel, mis en scène par l’excellente Charlotte Matzneff ; et « Les Dactylos », époque sixties, un humour à froid de Murray Schigsal. Les salles étaient pleines à craquer. On le sent, on le voit, question culture, les Versaillais font confiance à leur maire. Lequel est passé par le Conservatoire d’Art dramatique de Versailles dirigé alors par la grande Marcelle Tassencourt. Il insiste : « Je ne sacrifie jamais la qualité, je ne sombre pas dans la facilité : ma programmation, ça n’est pas de l’animation, c’est un projet théâtral. »
Un échantillon des Versaillais emballés, au théâtre Montansier qui accueille entre autres “Le Chant des Lions”
Enfant dyslexique, il aurait pu entrer à la Comédie Française, il a bifurqué à Sciences Po, puis l’ENA: sous-préfet, puis chef de divers cabinets. C’est lui, du temps où il travaillait avec Raffarin, qui a mis en place la loi mécénat. (25 % de ton apport rendu « en nature », et 60 % de déduction fiscale) Evidemment avec son Château, Versailles est gâté ; mais ne rêvons pas : « les financements ne vont pas aux productions théâtrales, plutôt au Château »
Quand on l’interpelle sur les coupes sombres infligées à la Culture et aux associations, sa prudence verbale ressurgit : « On a connu une période faste dans les années 1980, et le 1% Jack Lang. Puis ça a commencé à baisser dans les années 1990. Aujourd’hui ça s’accélère : avec la suppression de la taxe d’habitation, les collectivités locales ont perdu de leur autonomie. Et voilà que depuis 2 ans, il en est qui se vantent de sabrer dans les dépenses culturelles, qui en font une promotion politique ! » Il ne dit pas que c’est une honte mais il le pense très fort.
Y a-t-il vraiment eu dérapage financier ? de Mazières ne se mouille pas trop : « On ne pouvait pas éternellement augmenter les dépenses culturelles. De là à sabrer autoritairement, sans discernement… » Quid des niches fiscales tellement décriées ? « Ce sont elles qui nous permettent d’entretenir notre patrimoine ! » Il sait de quoi il parle, il est aussi patron de l’association « Architecture et Patrimoine », c’est lui qui a lancé la loterie pour la restauration de nos monuments. Ne lui parlez pas de culture « de droite » « de gauche » : « C’est un débat hors sol ! » tranche-t-il.
On ne l’entendra pas critiquer Rachida Dati. Il sourit : « Politiquement, elle sait faire ! » Quant à savoir s’il se verrait à sa place… Il a une réponse shakespearienne : « Est-ce que je le souhaite ? » To be or not to be… Un jour Ministre…
Catherine Schwaab
Versailles, le mois Molière - moismoliere.com - renseignements au 01 30 21 51 39 - tout le mois de juin.