Dans le très chic théâtre des Bouffes Parisiens près de l’Opéra se donne le vrai grand show de la masculinité 2025. Pas les Chippendales, mais encore mieux : des types musclés mais qui réfléchissent, parlent, chantent, dansent, et fendent l’armure. A voir absolument
Vous ne connaissez pas Julie Bérès ? C’est plus qu’un auteur, plus qu’une metteur en scène, plus qu’une actrice, une journaliste, une sociologue, une chorégraphe, un grand chef d’orchestre ! Cette artiste sait marier les disciplines, le propos, l’analyse et nous bouleverser. Elle œuvre depuis plus de 20 ans dans le théâtre avec des sujets qui occupent toutes nos conversations. Après « Désobéir » sur les femmes de 2eme et 3eme générations d’immigrés en France face à la religion - c’était juste après les attentats islamistes de Charlie Hebdo en 2015 -, la voilà qui s’attaque aux hommes, avec « La Tendresse ». Une tendresse qui n’arrive pas à percer, étouffée par les conventions du milieu masculin, les pudeurs, les peurs d’apparaître faible. Des questions si centrales depuis Me-too qu’elles conditionnent – paralysent ? - les comportements de toutes les générations, surtout les 15-35 ans.
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Sur scène : sept garçons de tous profils (blanc, black, beur, bourgeois, modeste, banlieue, province, grande ville…) et une fille qui se préfère en mec. Dès les premières secondes, les lumières même pas éteintes, le show vous saisit aux tripes. Une énergie, entre grâce et violence. Puis surgit le texte. Réaliste et bouleversant. « C’était comment ta première fois ? » « tu seras un dieu, mon fils ! » « le diable en moi »… Des injonctions masculines dans leur réalité tellement décalée aujourd’hui, après Me-too. Et c’est tout le sujet : des mecs désorientés face à des filles qui veulent tout et son contraire ! « Oui, convient Julie Bérès, ça tourne beaucoup autour du sexe. Ils ont besoin d’être adoubés, adulés par leurs semblables. Etre fort, avoir plein de nanas… Tout en rêvant d’une fille vierge « où tu es le premier à planter ton drapeau » ! Et nous les femmes aussi : ce paradoxe de vouloir être valorisée par le regard masculin. » Tout est contradiction, c’est angoissant, drôlatique, maladroit, et le spectacle le montre avec une fabuleuse virtuosité.
Le début du spectacle… |
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Il y a là des rappeurs et des breakdancers époustouflants, un danseur classique éblouissant, tous incroyablement justes dans leur jeu d’acteur. Le spectacle n’est jamais prévisible, il évolue entre dialogues de groupes, chansons et shows en solo, chorégraphies du sol au plafond, monologues rapides, chocs, disputes et blagues, bastons et punchlines hilarantes, le tout dans une fluidité réglée au cordeau. C’est si riche visuellement et sociologiquement qu’on vole au-delà du théâtre. Les confidences sont si poignantes qu’on a l’impression de vivre un documentaire. « C’était toute la difficulté du spectacle, explique Julie Bérès (qui a travaillé la dramaturgie avec Kevin Keiss et Lisa Guez). Le casting est très long, je mets un temps fou à trouver mes acteurs. Il me faut des personnages différents, qui rayonnent individuellement, et qui soient capables d’évoluer avec le spectacle en cours de répétitions. » On comprend en effet qu’elle rédige ses textes pour chacune de ces personnalités follement charismatiques qui ne se sont pas privées d’exprimer leur point de vue. Julie sourit : « Il y a eu des discussions vives, désaccords, disputes, réconciliations… Par exemple, pas question pour certains de mettre une robe ! Alors j’ai négocié… ! »
A la fin la salle applaudit debout
Le passage en robe est très court, mais indispensable. Le reste du temps, ces messieurs démontrent un indiscutable sex-appeal. Et une maîtrise ébouriffante car tout est précis, écrit à la virgule près (on peut acheter le bouquin à la sortie), et c’est ce qui donne au show son impact. Une mécanique d’horlogerie qui alterne l’émotion, la douleur, la beauté. Voilà : ça remue le spectateur, au plus profond, mais dans une immense beauté. On en ressort subjugué… et rasséréné.
Catherine Schwaab
« La Tendresse » au théâtre des Bouffes Parisiens jusqu’au 15 juin 2025