DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB

Sorties parisiennes, bons plans parisiens et autres, chroniques et réflexions sur la vie, la mort, les djeuns et la coiffure !

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Par Catherine Schwaab
2 oct. · 2 mn à lire
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Les Québecois osent tout Embaumer une morte… et déballer le scandale

Avec un titre insolite "La nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé", un auteur francophone canadien tricote une intrigue familiale qui fait exploser tous les tabous.

Ces Québecois nous étonneront toujours. Ils sont tellement sans filtre. Ils osent tellement plus que nous. Au cinéma, au théâtre, en danse (Souvenons-nous de la Compagnie Lalala Human Steps qui envoyait valdinguer sa danseuse Louis Lecavalier dans des chorégraphies survoltées) … A côté, on fait petit doigt en l’air. J’exagère, ok. Nous sommes en France tributaires d’une longue histoire classique et dense, d’un formalisme pétri de références, et… d’une sorte de conscience sociale qui peut-être nous freine, nous force à emballer le propos. C’est ce qui fait notre charme, notre sophistication, n'est-ce pas ! Notre différence. Les Québecois, eux, sont directs, straight forward. Droit devant. Ce qui n’exclut pas un bel esprit tordu.

L’auteur Michel Marc Bouchard en donne ici la preuve.

Un texte qui monte en puissance

Son texte est abrupt, juste, nerveux, sans fioritures, sans gras, sans effets. Il démarre presque anecdotique pour monter en puissance et nous saisir entre ses serres, étranglé.

Déjà, ce titre étrange « La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé » sonne un peu comme un roman de gare. Ensuite l’affiche : on se demande s’il s’agit d’un spectacle d’hypnose.  

Rien à voir. Enfin si : l’hypnose est dans cette perverse alchimie familiale qui nous attire dans ses gouffres impensables.

Bouchard cache bien son jeu, servi par une mise en scène impeccable (Didier Bengarth) dans un décor unique, animé par des vidéos et des musiques qui nous transportent. Il y a là six comédiens éblouissants : une sœur et ses trois frères réunis pour l’enterrement de leur mère. La sœur est… une thanatopractrice-vedette. Ca fait plus de vingt ans qu’elle n’a plus revu sa famille. Star des rites funéraires, elle est recherchée comme un scientifique qui peut vous sauver la vie, sauf qu’elle embaume les célébrités mondiales dans leur trépas. Les vide méticuleusement de leurs entrailles, les emplit, les regonfle, les remaquille…  fait de leur corps une œuvre réaliste troublante.

On va découvrir peu à peu pourquoi elle a trouvé sa voie dans cette carrière aussi morbide que vitale.

Des acteurs époustouflants

Six acteurs fabuleux de g. à dr. : Personnaz, VanDen Plas, Billaut-Danno, Pennamaria, Montoya, Macquart.

La pièce commence avec elle, Gaëlle Billaut-Danno, fine et longue silhouette en imperméable blanc, qui vous raconte une enfance un peu perchée : petite, comme un fantôme, elle allait regarder dormir ses voisins, postée dans leur chambre à coucher. On soupire. Va-t-on être embarqué dans un délire de science-fiction ? On comprend assez vite que pas du tout ; au fil de la thanatopraxie de la mère, un énorme mensonge familial va peu à peu se dessiner. Avec des révélations qui font exploser les tabous sexuels dans cette mentalité québecoise farouchement catholique cul-béni. C’est le talent de cette plume québecoise, Michel Marc Bouchard, de nous dérouler les traumatismes familiaux et moraux au fil de dialogues d’abord anodins, puis un peu aigres, puis agressifs, puis de plus en plus précis, aussi sensuels que violents. Avec des soupapes d’humour qui créent des sas bienvenus.

L’enterrement devient le cataclysme de vérités cachées qui font mal, mais aussi de  drôleries irrésistibles, bravo à Marie Montoya (la belle-sœur) et à Julien Personnaz (le benjamin). Les deux grands frères David Macquart et Benjamin Penamaria déploient une verve, entre hystérie et brutalité, c’est sidérant.

Michel Marc Bouchard, l’auteur québecois

Didier Bengarth le metteur en scène français

Au-delà de la mise en scène efficace de Didier Bengarth, il y a l’éternelle question du pardon et de la culpabilité. Peut-on se dégager d’un mensonge fondateur ? Mais faut-il parler, au risque d’imprimer des horreurs à jamais ? … Ces questions ont visiblement eu un large écho au Québec : Xavier Dolan (qui raffole de cet auteur) en a titré une série à succès.

Moi je trouve que sur scène, en chair et en os, c’est plus efficace qu’à la télé. Il faut aller voir cette pièce autant pour réfléchir que pour éclater de rire, autant pour les formidables performances d’acteurs que pour ce souffle québecois débordant d’audace, de nudité humaine, de crudité… aux antipodes de nos « petits marquis » français !

Catherine Schwaab  

David Macquart,frère coupable,sa soeur thanato, Gaëlle Billaut-Dano

Les saluts avec moults rappels

“La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé” au Théâtre Tristan Bernard à Paris, 64 rue du Rocher

jusqu’à fin décembre 2024