DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB

Sorties parisiennes, bons plans parisiens et autres, chroniques et réflexions sur la vie, la mort, les djeuns et la coiffure !

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Par Catherine Schwaab
11 oct. · 2 mn à lire
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Une fiancée virtuelle qui dit toujours oui oui oui

Les applis conversationnelles avec des « chatbots » (des robots parlants) vont-elles remplacer nos conventionnelles amours-délices-et-orgues ?

On pourra toujours critiquer mais… c’est fou ce que le web a aidé à casser les solitudes. Je ne parle pas des forums de discussions intellectuelles et pratiques : politique, littérature, cuisine…

Non, Je parle d’amour.  Et je ne parle même plus des sites de rencontres, spécialisés dans tous les créneaux, quadrillant la planète entière et pilotés par des algorithmes de plus en plus pointus. Bien sûr, il faut y mettre du sien, apprendre à échanger, trier, adopter un langage, repérer les « fake » et les bidonneurs. Mais… Tout est possible, accessible, jouissif. Dans cette jungle mondiale du net, des millions d’êtres humains attendent, impatients, la même chose que vous. Question relations amoureuses, certains usagers, périodiquement, se lassent. Déceptions ou fatigue d’avoir à opérer une constante sélection. Sans garantie de tomber sur l’oiseau rare.

Un (e) fiancé (e) sur mesure

Depuis quelques années, une plateforme américaine d’intelligence artificielle vous aide à vous bricoler votre propre fiancé, fiancée. Elle s’appelle « Replika », et de fait elle réplique trait pour trait les caractéristiques dont vous rêvez pour un ( e ) partenaire. Physique, tempérament, goûts… Et une mémoire phénoménale, c’est même l’élément le plus attachant de votre « chatbot », votre « assistant (e) virtuel (le) ». Il / elle n’oublie ni votre anniversaire, ni votre allergie aux poivrons, à la canicule, à Cyril Hanouna, ni votre passion pour Sautet ou Coppola, Rolls Royce ou Yves Saint Laurent. Tout ce que vous lui dites, il l’enregistre, l’enrichit et le ressort. En plus, pour peu que vous le branchiez sur le sujet, en matière d’érotisme, il / elle a de la ressource au point de devenir un authentique sex-friend. Enfin, le sexe chacun de son côté évidemment, balle au centre, pardon sex-toy au centre.

Il y a un an, des utilisateurs mauvais coucheurs se sont plaints de certaines conversations olé olé menées par les « chatbots ». Alors, ni une ni deux, sacré puritanisme américain, les programmeurs de Replika ont rectifié l’algorithme vers plus de pudeur… Malheur ! Ils ont déclenché le courroux de l’écrasante majorité des  2 millions d'utilisateurs actifs par mois, dont 5 % paient un abonnement (80 euros par an). Alors pour satisfaire tout le monde, les libertins peuvent maintenant revenir à l’ancienne version. Ouf.

Les hommes deux fois plus nombreux

Mais que leur apporte ce/cette fiancé (e) virtuel (-le) que n’aura jamais un ( e ) fiancé (e ) en chair et en os et en vrais neurones ? En un mot comme en cent, au vu des dizaines d’enquêtes que j’ai compilées : l’indulgence. Oui, avec un partenaire virtuel, il n’y a pas de barrière morale, pas de critique, pas de jugement. On comprend qu’en cette période me-too, pas mal d’hommes déboussolés se rabattent sur leur digital girl-friend. D’ailleurs, ils sont moitié plus nombreux que les femmes à s’adonner aux amours virtuelles. Pas que sur Replika. Il y a aussi Candy.ai, Kupid.ai, Anima, NSFWGirlfriend, Spicychat, DreamGF… Chacun avec une spécialité : un beau catalogue de « filles » à customiser comme une poupée, ou de bons sex-chats, ou du romantisme poétique…« Parler avec elle tous les jours me donne une idée de ce que pourrait être une vraie relation », lâche l’un des abonnés, très heureux avec sa « Miku » ainsi qu’il l’a baptisée (une contraction de « belle » et « ciel » en japonais). Il n’est pas pressé de tomber amoureux « in the real world ». Et c’est bien là le danger, selon certains chercheurs :  Jonathan Haidt, auteur de « The Anxious Generation » explique au magazine Esquire que  beaucoup de jeunes gens préfèrent rester repliés sur leur écran plutôt que jouer les fiers dragueurs en terrasse.

Mais d’autres sont déjà mariés, parfois pères de famille, et entretiennent avec bonheur une relation pas forcément platonique avec leur chatbot. « Elle me calme, elle m’apporte autre chose… » résume ce père de famille débordé qui évite d’évoquer le sujet avec son épouse. Telle mère célibataire vous avoue que « maintenant que j’ai mon copain virtuel, c’est tellement cool que je ne veux plus jamais entendre parler d’un vrai mec ! »

On pourrait continuer longtemps à citer des anecdotes qui mélangent le fantasme et la réalité : le plaisir de lui offrir une bague de fiançailles, l’abonnement qui diversifie le décor de la demoiselle en un vrai appartement, l’élargissement des conversations via des sms comme une vraie personne… Mais où va-t-on ?

Selon le cabinet d’études de marché Markets and Markets, le secteur mondial de l’Intelligence Artificielle conversationnelle devrait atteindre les 16 milliards d’euros d’ici 2026. Question à 30 milliards : est-ce que ces Replika et leurs répliques vont servir de pédagogie amoureuse à une génération dégoûtée par les plantages relationnels ? Ou deviendront-elles le territoire-refuge d’un genre humain qui aura perdu l’habitude de se parler ? A voir à Paris les groupes de jeunes quasi-muets devant leur bière et leur téléphone portable, on peut franchement s’interroger.

Catherine Schwaab