DANS L'OEIL DE CATHERINE SCHWAAB

Sorties parisiennes, bons plans parisiens et autres, chroniques et réflexions sur la vie, la mort, les djeuns et la coiffure !

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Par Catherine Schwaab
27 mars · 3 mn à lire
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Plus tard, il sera trop tard pour développer sa sensibilité aux arts

Une peinture, une musique, un ballet, une pièce de théâtre, un livre… sont des soupapes de bien-être, de défoulement, de beauté. Parfois une révélation. Toujours une création à cultiver et à chérir. L’art, c’est tout de suite ! Et pour la vie.  

Ca ressemble un peu à un combat. Un combat soft, je me comprends. Mais je trouve que dans l’éducation des enfants, des ados (des adultes aussi !) on n’insiste jamais assez sur l’éveil artistique. La sensibilité à la peinture, à la musique, à la danse, au théâtre, et même à la cuisine ou à la mode, ça n’est pas secondaire, c’est une formidable source de plaisir. C’est ce qui nous différencie de l’animal. Créer. Se laisser charmer, hypnotiser, emballer par une création, un ballet, un tableau… peut nous révéler à nous-mêmes. Etre ému - ou au contraire révulsé – par une œuvre révèle une sensibilité qui n’a rien à voir avec d’autres émotions. Notre cerveau n’est pas seulement une centrale électrique productive, il renferme une puissance imaginaire qu’il faut absolument développer. C’est bon pour tout. Pour notre santé, pour notre relation aux autres, pour le monde. Fugace ou prolongé, ce moment émotionnel génère des endorphines qui apaisent, stimulent, font même un peu planer parfois.

 

Mark RothkoMark Rothko 

Prenez Rothko pour parler de l’expo phare ces temps-ci (qui se termine le 2 avril à la Fondation Vuitton) : on est indiscutablement remué devant ces aplats de couches colorées qui sont déjà un bienfait pour l’œil. Mais ces oeuvres sont beaucoup plus : « une tension entre le tragique et l’espoir », « une forme d’extase » disait l’artiste. Oui avec Rothko, l’art prend toute sa dimension extatique. Sans aller jusqu’aux injonctions des « initiés » qui prétendent piloter notre regard de spectateur, on éprouve une sorte de plénitude à contempler ses couleurs. Chacun sa cuisine, on n’ordonne pas une émotion. D’ailleurs on est parfois au bord du fou-rire devant telle spectatrice, sourcils froncés, qui semble s’obliger pendant de longues minutes à entrer en méditation devant une peinture pour communier avec le maître ! Il faut juste se laisser capter, engloutir… ou pas. S’informer avant – ou après – sur la vie, les pensées du personnage nous le rend plus proche mais on n’est pas obligé. On a vécu grâce à lui un cheminement esthétique. En sortant de la Fondation, on n’est plus tout à fait le/la même. Nicolas de Staël (exposé actuellement à Lausanne après Paris) nous a fait le même effet. Etrange de se dire que ces deux-là se sont suicidés. Oui, l’art est une expression vitale… qui te met dans un état second. Et peut te tuer.

 Nicolas de StaëlNicolas de Staël

Peinture, musique, pas de hiérarchie,

juste une source infinie d’émotions

 Serge Gainsbourg et Jane Birkin, sa femme, son inspiratrice, son grand amourSerge Gainsbourg et Jane Birkin, sa femme, son inspiratrice, son grand amour

Rothko, grand amateur de Mozart mettait pourtant la musique au-dessus de tout. Au-dessus de la peinture, contrairement à Serge Gainsbourg qui pensait l’inverse ! Pourtant Dieu sait si aujourd’hui, les chansons de Gainsbourg sont devenues de brillants classiques inlassablement repris par les nouvelles générations. Rothko, Gainsbourg étaient naturellement éveillés à tous les arts. Grands artistes hypersensibles, ils vivaient la magie bouleversante du voyage musical, pictural que l’on n’explique pas. Ils se sont détruits… mais pas auto-sabotés. Leur création est immortelle.

 

La danse parle à l’âme et anticipe 

 

"Molten" du chorégraphe Edouard Hue"Molten" du chorégraphe Edouard Hue

"Mythologies" d'Anjelin Preljocaj"Mythologies" d'Anjelin Preljocaj

Devant un ballet, ce voyage intérieur est flagrant : une chorégraphie a le pouvoir de vous connecter « charnellement » à vos propres tumultes. Le langage des corps touche à l’indicible. Au surnaturel parfois. Et là encore, il ne faut pas intellectualiser afin de laisser libre cours à son exploration intérieure. J’avoue, au-delà de l’émotion, j’essaie souvent de décrypter : comme journaliste, j’ai toujours – TOUJOURS ! – constaté une perception des chorégraphes en avance sur nos problématiques sociales, plus que dans la mode ou dans la musique : ils anticipent les tendances, ambivalences sexuelles, amours nouvelles, peurs écologiques, compétitivité, rage des déclassés…. Des créateurs aussi différents que Preljocaj, Nadj, Pina Bausch, Keerersmaeker, Kerkouche, Merzouki, Chopinot…. ont des antennes. Et beaucoup de leurs ballets déclenchent prises de conscience et vocations.

 
Le « spectacle vivant », de l’amour !

 

Quoi de plus impressionnant que la scène ? ce saut dans le vide d’un artiste qui  se donne, à ses risques et périls. Décor, costumes, lumières, son, vidéos, mise en scène… De la haute voltige ! Et face à lui, une ferveur, un bonheur, un amour. Ils vous le disent tous en interview : une ovation, c’est mieux qu’un orgasme.

 

Des places trop chères

 

Le prix des places est un sujet dans le combat pour l’éveil artistique. Oui, s’éveiller à l’art implique un budget. En général il est largement rentabilisé au regard de la jouissance éprouvée. Mais on peut s’interroger sur le raisonnement des artistes du show biz : de Madonna à Mylène Farmer, de Ed Sheeran à Beyoncé ou Muse… ils n’hésitent pas à matraquer leurs 70, 80, 90 euros, premiers prix. Ils savent que leurs fans de la première heure n’auront plus les moyens de suivre… alors que leur fidélité mériterait un pass VIP à 1500 ! Cupides ? cyniques, ces stars adorées ?

A ce propos, il faut relever la magnanimité de certains techniciens de haut vol : par exemple pour réaliser les magnifiques costumes de la Flûte Enchantée (mise en scène par Cédric Klapisch, donnée récemment au théâtre des Champs Elysées), les couturiers Stéphane Rolland et Pierre Martinez n’ont pas demandé à être payés, par souci d’économies nécessaires. Respect !

 

Janvier 2024 : le final du défilé Stéphane Rolland, avec Pierre MartinezJanvier 2024 : le final du défilé Stéphane Rolland, avec Pierre Martinez

La Flûte enchantée de Klapisch en novembre 2023La Flûte enchantée de Klapisch en novembre 2023

« L’art enrichit la vie » dit le galeriste Alain Margaron

 

Opéra, hip-hop, mode, gastronomie… Je ne fais pas de hiérarchie dans les arts. L’essentiel est de trouver son terrain d’éveil, d’émotion, de défoulement, de jugement critique. Elargir sa sensibilité, c’est se forger une soupape de beauté et de plénitude. Mais c’est aussi affiner sa pensée, l’exprimer. Par exemple, devant l’expo Iris van Herpen (jusqu’au 28 avril 2024 au Musée des Arts Déco) nous entraîne dans plein de découvertes insoupçonnées : la technologie féerique, le gothique, la douceur… Mais au musée Dior, rue François 1er à Paris, on est enrichi autrement : le luxe illimité, l’esthétique absolue, l’histoire de la haute couture…

Dans l'expo Christian DiorDans l'expo Christian Dior

Dans l'expo Iris van HerpenDans l'expo Iris van Herpen

Dans notre monde actuel, s’éveiller à l’art est indispensable, c’est une façon d’enrichir sa « bibliothèque intérieure ». Le public l’a compris, voyez les files d’attente à l’entrée des musées. Ma foi tant mieux, c’est la rançon d’une salutaire prise de conscience. Pour compenser les quatre heures de gaming, emmenons nos ados faire deux heures d’expo !

 A Paris, le célèbre galeriste Alain Margaron, grand collectionneur d’artistes des années 50-60 (Hélion, Réquichot, Fred Deux, Bazaine, Dado, Zoran Music…) vient d’intituler sa nouvelle exposition « La peinture enrichit nos vies ». Tout est dit. Dans son cocon de la rue du Perche, on déambule en silence sans être dérangé.

Chez Alain Margaron (veste rouille) rue du Perche, ParisChez Alain Margaron (veste rouille) rue du Perche, Paris

Un tableau de Jean Helion chez Margaron, acheté le soir du vernissage Un tableau de Jean Helion chez Margaron, acheté le soir du vernissage

L’art immortel contre les mollahs

 

l'Iranien Shervin Hadjipour chante "Barayé"l'Iranien Shervin Hadjipour chante "Barayé"

Golshifteh Farahani, au dernier festival de Cannes Golshifteh Farahani, au dernier festival de Cannes

Il n’y a pas qu’en Occident que l’art apporte ses bienfaits. Dans les dictatures aussi : en Iran, pays de la poésie, où la population vit sous le joug d’une « mollahrchie » impitoyable, bornée, corrompue et sanguinaire, l’art est un mode de survie. L’actrice Golshifteh Farahani devenue le porte-parole de la révolution là-bas résume : « En Iran, la musique, le théâtre, l’art, c’est existentiel. Là-bas, on peut tout t’enlever en un clin d’œil : ta liberté, ta maison, ton inscription en fac, ton boulot… Le seul capital c’est la création. Les artistes y sont de plus en plus souterrains, ils arrivent à trouver un chemin pour s’exprimer. En Iran, personne ne réussit à tuer l’art. »

La chanson déchirante de Shervin Hadjipour, « Barayé », visionnée 40 millions de fois dans le monde en deux jours, arrache les larmes. Vibrer ensemble, au-delà de la souffrance, c’est aussi la supériorité de l’art sur tout le reste .

Catherine Schwaab

“Plus tard il sera trop tard. Notre vie c’est maintenant.” — Jacques Prévert“Plus tard il sera trop tard. Notre vie c’est maintenant.” — Jacques Prévert

Écrire aujourd'hui pour inventer le jour d'après. Une édition spéciale Kessel.media.